FT-CI

Le Jour aù Zanon a été expropriée

Une journée inoubliable

07/05/2010

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Tiré de T. Moreira, « Zanon expropriada : una jornada inolvidable », in La Verdad Obrera n°338, 13/09/09.

« Après huit années de lutte, on ne veut plus être menés en bateau, on veut l’expropriation ». Voilà ce que chantaient les ouvriers céramistes de Zanon dans les rues de Neuquén le 12 août, accompagnés par un cortège nourri de travailleurs du secteur public, d’enseignants, de travailleurs de la santé, d’organisations sociales et de partis d’extrême gauche, en marchant sur l’Assemblée législative provinciale de Neuquén où les députés s’apprêtaient ã discuter de la loi sur l’expropriation de l’usine.

Le vent froid de la Patagonie soufflait fort, rendant insupportable l’attente devant l’Assemblée. Les céramistes, ceux-là mêmes qui huit années auparavant s’étaient lancés dans la lutte, avaient occupé l’usine, fait repartir la production et fait en sorte que leur épopée reste imprimée ã jamais sur les meilleures pages de l’histoire ouvrière d’Argentine chantaient ã tue-tête « ¡Aquí están, éstos son, los obreros de Zanon ! » [1].

La polémique faisait rage ã Neuquén les jours précédents. Si le gouverneur de la province s’était finalement décidé pour l’expropriation on entendait au sein de son propre parti, le MPN, mais également au sein de l’opposition de droite et y compris au sein de la CGT des cris d’orfraies contre ce projet de loi qui allait céder l’usine aux « gauchistes » et aux « délinquants ». Des calomnies pour discréditer la lutte exemplaire des céramistes donc. La bureaucratie syndicale cégétiste et la Chambre de Commerce et d’Industrie de la province avaient même tenté d’intervenir pour éviter que l’expropriation soit votée. Ils ont échoué…

Manifestation vers l’Assemblée législative provinciale

Une grande colonne précédée d’une banderole sur laquelle était inscrit « Carlos Fuentealba est avec nous3 » était le symbole de cette mobilisation. On voyait-là un front uni de tous ceux et de toutes celles qui avaient soutenu la lutte des céramistes pour l’expropriation et qui combattent aussi pour que soient punis les responsables de l’assassinat de Carlos ã Arroyito en 2007. Tous se souviennent
3 Carlos Fuentealba est un enseignant de la province qui a été tué par balle par la police au cours de la grève de l’Education de 2007.que Carlos a été l’un de ces enseignants qui par centaines s’étaient rendus devant l’usine le 8 avril 2003, lors d’une des plus importantes opérations de police contre les travailleurs de Zanon pour tenter de mettre fin à l’occupation. En remontant par l’Avenida Argentina, les ouvriers céramistes continuaient ã faire entendre leur voix, promettant de ne pas baisser la garde et de continuer à lutter, même si la loi d’expropriation promise était votée.

Pendant ce temps-là avait lieu la session parlementaire, longue et ennuyeuse. Une délégation de cinquante camarades avait pu entrer dans l’hémicycle : une importante délégation de céramistes constituant la vieille garde de Zanon accompagnée des Mères de la Place de Mai de Neuquén, des délégués de la CTA, de travailleurs de l’INDEC [l’INSEE argentin], du métro de Buenos Aires, des chantiers navals Río Santiago de La Plata, des ouvrières textiles de Brukman.

Parallèlement, à l’extérieur, se tenait un meeting au cours duquel prenaient la parole les représentants de toutes les organisations politiques solidaires. Un des moments les plus émouvants a était lorsque les femmes sont montées à la tribune, celles qui neuf années auparavant avaient organisé la première Commission des femmes de Zanon. La mère d’Alejandro López, secrétaire général du SOECN, a raconté avec fierté, en montrant le premier bleu de travail « de lutte » de son fils [2], comment elle avait commencé ã soutenir les ouvriers de Zanon. Le souvenir de Daniel Ferrás, ce jeune ouvrier de l’usine décédé en juin 2000 à la suite d’un accident de travail du fait de l’incurie patronale et qui avait unifié la lutte des céramistes, était également à l’esprit de tous, tout comme le souvenir de « Boquita », Jorge Esperanza, membre de la direction du SOECN, récemment décédé. L’émotion était palpable.

A minuit, à l’issue de cette longue journée de mobilisation, dans la nuit froide que les feux de palettes ne réussissaient pas ã réchauffer, l’expropriation était finalement votée. Place à la joie. « Enfin ! » criait-on, « Et dire que certains pensaient qu’on n’aurait jamais réussi ! ». On chantait, on sautait de joie, on s’embrassait et quelques larmes coulaient même sur les joues tannées des céramistes. Les plus anciens se souvenaient de la fin de la longue grève de 2001, celle qui avait duré trente-quatre jours, de la célébration de cette victoire-là après tant de tension accumulée. Ce n’était pas faux. Cette grande victoire avait ouvert le chemin de ce qui, quelques mois plus tard, allait être l’occupation de l’usine puis la relance de la production de l’entreprise de carrelage et de re-vêtement céramique la plus importante du pays.

Lolín, une des Mères de la Place de Mai de Neuquén, est alors montée à la tribune et avec ses mots d’encouragement, comme tant de fois par le passé, elle a apporté de la chaleur dans cette nuit glaciale. Personne ne s’en allait, en dépit de l’heure tardive. C’est alors que les travailleurs ont entonné « la classe ouvrière n’a pas de patrie ! ». Ce fut au tour de Claudinor Brandão, dirigeant du syndicat du personnel technique et ouvrier de l’Université de Sao Paulo, le SINTUSP, qui en a profité pour revendiquer l’exemple de Zanon et de l’expropriation pour les dizaines de milliers de personnes qui sont jetées à la rue au Brésil du fait des licenciements. Les dirigeants de Zanon ont par la suite pris la parole, les plus médiatisés comme les moins connus, tous ceux qui ont pour tâche maintenir en fonctionnement une entreprise qui est la source du revenu de 470 familles ã Neuquén alors que la crise capitaliste fait rage. Pour confirmer l’unité ouvrière, les futurs dirigeants du syndicat qui se présenteront aux élections dans deux semaines pour défendre les couleurs de la liste combative, lutte de classe et antibureaucratique, la liste Marron, sont montés à la tribune, aux côtés des anciens.

Tous les orateurs ont remercié pour leur soutien les personnes présentes, non seulement le 12 août mais au cours des dix dernières années, depuis la victoire de la Commission Interne. Les travailleurs de l’usine céramiste Stefani, en lutte au même moment, ont été applaudis également.

Personne n’est dupe cependant. Tous les céramistes savent que l’expropriation n’est pas la fin du combat et qu’en outre, dans le traitement législatif article par article, on voudra les piéger, sur la question d’une clause de paix sociale par exemple ou des indemnités. Les travailleurs ont alors décidé, en AG de nuit improvisée, de manifester ã nouveau le lendemain devant l’Assemblée.

Un exemple national et international

Cette journée marque la fin d’une longue période de l’histoire des céramistes de Zanon et le début d’une autre, non moins combative et difficile. Comme le répète inlassablement Raúl Godoy, « Zanon n’est pas une île ». Quel exemple plus concret pour illustrer cela que l’usine céramiste Stefani de Cutral Có qui est en grève depuis plus d’un mois en raison du harcèlement patronal. La lutte de Zanon et de son syndicat continue donc.

La gestion de Zanon est connue dans tout le pays et son exemple a été largement diffusé à l’étranger. Avec le temps, sa rvenommée, loin de diminuer, n’a fait que croître, notamment au cours de l’année écoulée. Le mérite n’en revient pas seulement aux céramistes et à leur direction. En effet, la crise capitaliste mondiale, avec ses millions de licenciés de par le monde et les milliers de fermetures d’entreprises, met à l’ordre du jour l’expérience des usines récupérées en Argentine générée la crise de 2001. Depuis huit ans l’étoile de Zanon brille avec plus de force encore, en raison de sa politique de contrôle ouvrier, différente et supérieure ã celle des coopératives « normales » qu’ont adoptée la plupart des entreprises occupées en Argentine après 2001, mais également en raison de son syndicat de classe, de la politique de coordination qu’il défend comme d’ailleurs la méthode de démocratie ouvrière où c’est l’assemblée qui décide, qui permet le contrôle périodique permanent de la base sur la gestion de l’entreprise, la solidarité militante avec des dizaines de conflits dans tout le pays… Le soutien apporté par les céramistes aux secteurs populaires, stimulant toujours ce qu’ils appellent « le travail avec la communauté », les concerts organisés avec des groupes comme La Renga, la Bersuit ou Attaque77 pour que les jeunes de la région puissent profiter de concerts d’habitude inaccessibles, voilà ce qui fait la marque de Zanon également. Il s’agit bien d’une usine militante qui a su gagner l’expropriation. Personne ne la leur a offerte, mais ils ne l’ont pas arrachée tout seuls. Le soutien extraordinaire qu’ils ont reçu des travailleurs de la région et de tout le pays a été fondamental. « Unité des travailleurs ! Et que ceux que ça dérange aillent se faire voir ! ». Voilà un des slogans centraux des céramistes de Neuquén, repris ã maintes reprises le 12. L’expropriation a été arrachée de haute lutte au régime du MPN de Neuquén. Les céramistes quittent le parvis de l’Assemblée législative heureux de la bataille gagnée. Mais la nuit glacée gardera longtemps encore l’écho de leur chant : « Vive la lutte de Zanon, vive le contrôle ouvrier, parce que cette usine appartient au peuple, ã Zanon ¡No Pasarán ! »

  • NOTAS
    ADICIONALES
  • [1« Les voici, ceux sont eux, les ouvriers de Zanon !} »

    [2Il s’agit des chemises de travail beiges sur lesquelles sont imprimées au dos le nouveau symbole du SOECN, une poignée de main par-dessus une route traversant une zone industrielle représentant l’unité entre travailleurs et travailleurs au chômage.

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