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Argentine

Simulation scandaleuse : les méthodes de la gendarmerie mettent en difficulté le gouvernement Kirchner

08/09/2014

Simulation scandaleuse : les méthodes de la gendarmerie mettent en difficulté le gouvernement Kirchner

Depuis plusieurs jours, il se fait appeler le gendarme "Carancho". Certains se souviendront du film du même nom sorti sur les écrans français il y a quelques années. Pour les autres, on rappellera que le « carancho » est un oiseau charognard se nourrissant principalement de cadavres d’animaux percutés sur les routes de la Pampa, et dont le nom a été repris pour désigner les avocats qui tirent profit de manière frauduleuse d’accidents de la route, allant jusqu’à monter ceux-ci de toutes pièces.

Lors de la journée d’action en solidarité avec la lutte de Lear organisée début juillet, les manifestants décident de remplacer le traditionnel blocage d’autoroute par une "opération escargot" consistant ã rouler au ralenti pour freiner la circulation tout en contournant la répression. La gendarmerie se trouve désorientée face ã cette méthode de lutte inédite en Argentine. Face aux voitures roulant ã 5 km/h, un gendarme décide alors de se jeter sur le pare-brise d’un des véhicules pour simuler avoir été renversé. Ses collègues entourent la voiture, sortent violemment le conducteur, le menottent ã terre et après l’avoir frappé, l’arrêtent. Ce militant du PTS est par la suite poursuivi en justice.

Une vidéo qui fait le tour du monde

Immédiatement, le PTS dénonce le coup monté et diffuse une vidéo où l’on voit le gendarme se jeter sur la voiture. Mais la semaine dernière, une nouvelle vidéo est publiée où l’on voit cette fois-ci très clairement toute l’action de la gendarmerie.

Cette vidéo fait rapidement le tour de la toile et de tous les médias nationaux. Elle parvient même au Chili, en Uruguay, au Venezuela, dans l’État espagnol, en Allemagne, aux États Unis et jusqu’à Taïwan. On peut également y voir un « barbu aux cheveux blancs », tel qu’il avait été décrit par le journaliste Horacio Verbitsky, proche du gouvernement. Cet homme n’est autre que Roberto Galeano, le chef de l’opération de répression, qui s’était préalablement infiltré dans les manifestations pour indiquer les personnes que les gendarmes devaient arrêter en priorité. Cet ancien militaire, qui n’est pas formellement un gendarme, a dirigé par le passé différents organismes d’intelligence de l’armée. Il avait été mis à la retraite il y a quelques années mais son ami Berni, secrétaire d’Etat à la sécurité, l’avait réembauché en tant que « coordinateur ».

Sur Internet, les répercussions ne se sont pas fait attendre : parodies, affiches et même un jeu vidéo où le but est de se jeter sur des voitures pour arrêter des manifestants (http://www.shittygames.tk/b/puto/gendarmer/).

Les répercussions de cette vidéo ouvrent une crise pour le gouvernement

Jusqu’à présent, un des "points forts" du gouvernement Kirchner avait été sa capacité ã coopter une partie des mouvements sociaux et des droits de l’homme. Avec la politique de ne pas réprimer (du moins pas trop et discrètement) les actions de protestation et en faisant quelques petites concessions, en général très symboliques, le gouvernement avait réussi ã coopter une partie de ce que l’on pourrait appeler le « peuple de gauche ». Mais ã mesure que la crise économique rongeait les bases de stabilité du gouvernement de Cristina Kirchner et qu’il perdait des soutiens, celui-ci a entamé un virage ã droite, qui s’est notamment exprimé après les mutineries policières et la condamnation des travailleurs du pétrole de Las Heras [1] La désignation de Berni en tant que secrétaire d’Etat à la sécurité dans un premier temps, puis sa transformation de fait en porte-parole du gouvernement, allait dans ce sens. Face ã ce tournant, l’aile gauche du gouvernement s’était jusqu’à présent très peu fait entendre.

Mais la politique de répression des travailleurs de LEAR et le projet de loi qui l’accompagnait, visant à limiter les blocages et les manifestations, ont commencé ã générer un véritable mal-être au sein de l’aile gauche gouvernementale. Avec cette vidéo et ses répercussions, la crise s’est accentuée. Plusieurs députés ont regretté l’affaire du gendarme carancho et se sont attaqués ã Berni.

D’un autre côté, la crise est même arrivée au sein des forces de répression. Vendredi dernier s’est tenue une réunion de la gendarmerie pour discuter de l’affaire du gendarme carancho. Le ministère a soutenu l’intervention de la gendarmerie dans un communiqué et Berni lui-même a dû se prononcer ã plusieurs reprises sur cette affaire. Dans un premier temps il défendait qu’il fallait évaluer « si le gendarme avait été renversé ou s’il était tombé », et plus tard il a dû reconnaître que le gendarme s’était effectivement jeté sur la voiture. Cela ne l’a pas empêché de défendre le fonctionnaire, en disant qu’il s’agissait d’une stratégie pour stopper l’opération escargot et qu’il n’avait en aucun cas simulé se faire renverser. Mais le dossier judiciaire montre qu’il ment puisque le conducteur de la voiture est poursuivi pour avoir renversé le gendarme.

Les premières éjections gouvernementales

Face ã ce scandale, le gouvernement a dû réagir. Tout en défendant Berni, le gouvernement a licencié le « barbu aux cheveux blancs » Galeano pour là¢cher du lest. Mais étant donné que cette affaire continue ã avoir une place très importante en Argentine et ã se répandre à l’échelle internationale, la possibilité que Berni tombe également n’est pas ã exclure. Un premier signe qui va dans ce sens c’est la demande de plusieurs députés pour qu’il soit interpellé au parlement.

La lutte de Lear regagne en visibilité

La direction de Lear avait poursuivi sa politique anti syndicale et maintenait depuis le 1er septembre les délégués syndicaux réintégrés dans une cage pendant leur journée de travail [2]. La campagne menée par des organismes de défense des droits de l’homme, dont le prix Nobel de la paix Pérez Esquivel ne semblait pas les déranger. Mais après que l’affaire ait été rendue publique jeudi dernier, il a suffit de 24 heures pour que la cage soit démantelée.

La direction montre alors quelques signes de faiblesse. Même si elle continue ã compter avec l’aide de la bureaucratie syndicale du SMATA, le gouvernement a moins de marges de manoeuvre pour continuer à la couvrir.

Après les liens qui se sont forgés avec les travailleurs de Donnelley et d’autres usines de la zone industrielle [3] et les journées de solidarité et d’action qui continuent ã s’organiser (jeudi dernier c’était la 8ème), plus que jamais, c’est le moment d’élargir la campagne de solidarité avec les travailleurs de Lear. Pour cela jeudi prochain est organisée une grande manifestation devant le Ministère du Travail pour imposer des véritables négociations pour la réintégration des travailleurs licenciés.

08/09/2014

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