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En Tunisie, après deux ans de lutte, les ouvrières de LATelec-Fouchana concluent un accord avec la multinationale française LATécoère

De la grève ouvrière à la grève de la faim, retour sur un combat de longue haleine

30/07/2014

De la grève ouvrière à la grève de la faim, retour sur un combat de longue haleine

Ninza Kirmizi

Voici près d’un an, à l’occasion du passage ã Paris de Sonia Djebali et Monia Dridi, toutes deux déléguées syndicales UGTT du site de LATelec-Fouchana, filiale de l’entreprise française Latécoère, nous avions publié un article retraçant la lutte exemplaire de ces ouvrières contre la dictature patronale qu’elle subissaient à l’usine, lutte qui avait commencé en décembre 2010, ã quelques mois du mouvement révolutionnaire tunisien et de la chute de Ben Ali [1] A l’époque, Sonia et Monia se battaient pour leurs réintégrations, ainsi que celles de huit autres de leurs camarades : après avoir obtenu gain de cause sur leurs revendications à la suite d’un mouvement de grève, la direction de LATelec Fouchana, optant pour une politique de répression syndicale et de lock-out, les avaient licenciées fin 2012.

Après des mois de luttes, de construction d’une solidarité entre le site français et tunisien, ainsi qu’auprès des militants de chaque pays, des débrayages et grèves des ouvrières maintenus dans l’usine, certaines licenciées dont Sonia Djebali, figure emblématique de la lutte, et Houda Thadji, poussées ã bout par l’intransigeance patronale, en sont même arrivées ã entamer une grève de la faim. La direction de l’entreprise a fini par céder partiellement, et un accord est trouvé prévoyant la réintégration des licenciées, mais maintenant le licenciement des deux déléguées syndicales, Sonia et Monia, qui ont elles perçues des indemnités de départ. Pour le patronat de LATelec, il a fallu s’attaquer à la direction de cette lutte emblématique, incarnée par ces ouvrières militantes et combatives qui ont émergé dans le contexte du processus révolutionnaire.

Femmes en révolution : une lutte ouvrière emblématique du « printemps tunisien »

C’est en décembre 2010, ã quelques mois de l’immolation de Mohamed Bouazizi, et du début du mouvement révolutionnaire tunisien qui a conduit à la chute de Ben Ali, que commence ce combat des ouvrières de LATelec-Fouchana contre les conditions de travail et les multiples abus dont elles font l’objet. Sur 450 employés, le site de Fouchana compte 90% de femmes qui travaillent à la réalisation de câblages et de meubles avioniques destinés ã fournir le géant européen de l’aéronautique, Airbus, dont l’Etat français fait partie prenante du capital. En effet, depuis 2005, Latécoère, principal sous-traitant d’Airbus a délocalisé une de ses usines en Tunisie, sur le site de Fouchana : en engageant une majorité de femmes, il comptait sur leurs docilités pour leur faire accepter des salaires de misères ( 230 dinars par mois, soit 130 euros), les multiples abus sur les conditions de travail ( heures supplémentaires en excès et non rémunérées, pratiques de harcèlement sexuel), ainsi que les quatre ans de reconduction d’un contrat à l’essai, quatre ans durant lesquels les salarié-e-s sont priées de se taire ou de s’en aller.

Dans leurs luttes, les ouvrières de LATelec ont su s’appuyer sur le mouvement révolutionnaire en cours : elles ont pu créer une section syndicale de l’UGTT, devenue légale avec la chute du régime, auquel 420 salarié-e-s sur les 450 que compte l’usine se sont affiliées ; elles ont contesté l’exploitation de la main d’œuvre tunisienne par les entreprises impérialistes françaises avec l’aval du régime de Ben Ali ; elles ont revendiqué, en tant que femmes, le droit au respect, et l’arrêt des pratiques de harcèlement sexuel ; les déléguées syndicales ont refusé les propositions de corruption, méthode classique de l’ère Ben Ali, que leurs faisaient la direction du site. Elles ont obtenu gain de cause sur la plupart de leurs revendications, avec la signature d’un accord en mai 2012, conclu après 18 mois de luttes, de grèves et de négociations intenses.

Cependant, en septembre 2012, et dans le contexte d’une relative fermeture de la conjoncture révolutionnaire, la direction du site de LATelec-Fouchana fait machine arrière : elle décide de fermer l’usine de manière temporaire, et délocalise la production de Fouchana...en France, sur le site de Tarbes. Un lock out patronal qui a pour but de se débarrasser des équipes combatives, et de faire régner de nouveau sa loi dans l’usine. Quelques mois plus tard, lorsque la réouverture du site est mise en place, dix salariées dont trois déléguées syndicales, sont licenciées. Depuis elles n’ont fait que se battre pour exiger leurs réintégrations, allant chercher la solidarité au Forum Social Mondial qui s’est tenu ã Tunis au début de l’année 2013, auprès des salarié-e-s français, de leurs propres camarades de lutte dans l’usine, manifestants devant l’ambassade de France, interpellant également le soutien de leur direction syndicale, l’UGTT (union général des travailleurs tunisiens), qui est pourtant resté très en retrait, jusqu’à la veille de la résolution du conflit.

La grève de la faim face à la sourde oreille du patronat et de la direction de l’UGTT

Face ã un patronat de combat, qui refusent systématiquement toute discussion avec les déléguées syndicales UGTT licenciées de la boite, - ce patronat français qui reprend peu ã peu ses marques en Tunisie sous la gouvernement d’Ennahda- mais aussi relativement isolées au sein de l’UGTT dans leurs combats, Sonia Djebali et Houda Thadji ont entamé en juin dernier une grève de la faim. Elles ont été rejointes, par un salarié d’une entreprise voisine, Leman industrie, également licencié, et accompagnées par l’Union de Diplômés-chômeurs ainsi que par l’Union général des Etudiants de tunisie (UGET).

Au bout de 27 jours, alors que l’état de santé des grévistes et en particulier de Sonia atteignait un seuil critique, l’union régionale, puis la direction nationale de l’UGTT décident de prendre en main les négociations, avec comme interlocuteur le patron français de la maison mère Latécoère, qui s’est déplacé personnellement ã Tunis. Ils conviennent d’un accord : le reste des salariées licenciées seront réintégrées à l’usine, à l’exception des deux déléguées syndicales UGTT dont Sonia, qui partent avec des indemnités de 54 000 dinars, soit l’équivalent de 23 000 euros. Des indemnités qui paraissent ã première vue importantes, et qui sont sans précédents dans l’histoire des conflits entre les multinationales et les travailleurs tunisiens, mais qui, en réalité, ont un goût amer : « jamais je ne retrouverai un emploi » confie Monia Dridi, 32 ans. « Lorsqu’on dit qu’on a travaillé ã LATelec, on est sûr d’être refusée ». On reconnaît ici, la même amertume qui s’est emparé de milliers d’ouvrier-e-s en France, suite aux luttes de 2008-2010, qui se sont, pour la plupart, soldées par l’obtention d’indemnités de départ.

Le cas de la lutte des femmes de LATelec, ã ce stade, était alors devenu un cas national, soutenu par la plupart des organisations de gauches du pays, mais également internationale, avec ses relais en France, grâce à l’incroyable travail de construction de solidarité que les grévistes avaient mené de part et d’autre de la Méditerranée. Cela a obligé la direction nationale de l’UGTT, pourtant restée très en retrait dans le traitement et le soutien à la section locale créée ã LATelec ã prendre position et ã s’impliquer dans le conflit alors que celui-ci pouvait entacher de manière critique l’image de l’UGTT. Ce n’est qu’au dernier moment, alors que les grévistes avaient entamé la méthode extrême de la grève de la faim, dans un ultime sursaut de désespoir, que la direction de l’UGTT a pris les devants, craignant, certainement et ã plus forte raison, la critique d’avoir pu laisser des membres d’une section mettre fin à leurs jours dans le cadre d’un conflit du travail.

On ne peut que condamner la direction de l’UGTT d’avoir laissé ces salarié-e-s face ã elles-mêmes, alors qu’elles étaient devenues un exemple héroïque de la lutte féministe et ouvrière contre l’exploitation impérialiste en Tunisie, l’image même de cette avant-garde qui avait pu émerger lors printemps tunisien de 2011. A travers cette lutte, on décèle bien toute l’ambiguïté du rôle que peut jouer la centrale syndicale, majoritaire, en Tunisie, en termes de contention de la contestation. Majoritaire dans le pays, l’UGTT aurait tout ã fait pu construire, aux côtés des salariées de LATelec, des élans de solidarités dans d’autres boites où elle dispose de sections locales.

Dans la construction de cette solidarité, la direction de l’UGTT, qui faisait pourtant face ã un cas extrême de répression syndicale envers des déléguées de son organisation, n’a joué qu’un rôle mineur et n’a pas été à la hauteur de ses capacités. Cette solidarité a essentiellement reposé sur la détermination et sur l’auto-organisation des grévistes, mais aussi sur l’empathie qu’a pu susciter leur lutte auprès de large couches de la population tunisienne, toujours en proie avec les mêmes difficultés que sous l’ère de Ben Ali. Cela s’est vu dans le ralliement d’un salarié licencié de la Leman industrie à la grève de la faim, mais aussi dans le soutien apporté par d’autres secteurs de la population tunisienne, par l’aide des Diplômés-Chômeurs et des étudiants de l’Union Général des Etudiants de Tunisie.

Vers la construction d’un pôle lutte de classe en Tunisie

La lutte de LATelec, malgré les limites de sa conclusion, a cependant posé un jalon en termes de résistance au patronat impérialiste, et témoigne de l’état de la subjectivité de la classe ouvrière tunisienne, de sa maturité et de sa détermination ã combattre l’exploitation néocoloniale dont elle fait l’objet. Elle a, de plus, porté au-devant de la scène des femmes combatives, progressistes, bien éloignées de cette figure féminine, soumise et religieuse que véhicule le gouvernement tunisien, cliché largement exploité par l’Etat français pour délégitimer les mouvements de résistance de l’autre côté de la Méditerranée.

Dans ce contexte, on ne peut que souhaiter que cette lutte devienne le premier jalon de la reconstruction d’un pôle ouvrier et lutte de classe en Tunisie, qui puisse s’opposer et à la politique d’Ennahda, et à la dérive du Front Populaire, qui dans une logique d’opposition au religieux, a fait alliance avec des cadres de l’ancien régime de Ben Ali, et soit un point d’appui pour relancer la dynamique révolutionnaire.

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