Plus de 50 jours de grève pour les postiers du 92
Une lutte exemplaire contre la précarité
19/03/2014
Les raisons de la colère
La grève qui touche plusieurs bureaux du 92 ainsi que, depuis 15 jours, la plateforme colis de Gennevilliers (PFC) a débuté il y a plus d’un mois et demi contre le licenciement d’une factrice précaire ã Rueil-Malmaison. Dans ce bureau, l’indignation avait été générale devant les pratiques de la direction, qui n’hésite pas ã mettre à la porte une mère de famille pour entretenir le juteux système de précarisation qu’elle a mis en place. Les grévistes ont en effet découvert que le cas de cette salariée en contrat aidé, c’est ã dire financé ã 80% par la région, n’avait rien d’isolé. Depuis 2 ans, La Poste n’embauche plus que sous ce type de contrat, faisant ainsi structurellement reposer sur le financement public une part significative de sa main d’oeuvre...qu’elle s’arrange ã ne jamais renouveler pour pouvoir toujours réembaucher de nouveaux salarié-é-es sous les mêmes statuts précaires. Les DRH en viennent même ã falsifier les signatures des postiers en CDI censés servir de « tuteurs » à leurs collègues précarisé-e-s, pour toucher les primes versées par l’Etat ! Si l’on ajoute ã cette situation les réorganisations que La Poste veut imposer dans le cadre du plan « facteur d’avenir », supprimant des tournées pour rallonger celles qui reste, baissant le temps de pause des travailleur-se-s de la plateforme colis, et on en passe, on comprend que la coupe était déjà plus que pleine pour les facteurs du 92 et d’ailleurs.
Contre « facteur d’avenir » ! Contre la précarité !
La mobilisation actuelle, si elle n’a pas atteint jusque là l’échelle départementale, s’inscrit néanmoins dans une série de luttes dures animées depuis 1999 sur le bureau de Rueil-Malmaison, et ã plusieurs reprises depuis 2006 par les facteurs de la zone, qui est connue comme un bastion de combativité au sein de La Poste [1]. Ces bagarres ont permis de freiner localement les restructurations planifiées par la direction de l’entreprise, et qui constituaient une attaque en règle contre les conditions de travail, ce qui représente un acquis et un exemple pour tou-te-s les postiers. Le syndicat combatif Sud PTT 92 est au coeur de l’animation du mouvement. Leur méthode de lutte consiste ã faire de la diffusion du conflit une priorité en tournant de site en site, et ã organiser, en plus des AGs sur chaque bureau, un comité de grève où tous les sites entrés dans la bagarre sont représentés. Elle a permis l’extension du mouvement ã 7 bureaux jusque là , ainsi qu’à la PFC (ce qui constitue une jonction importante entre les facteurs et un autre secteur du personnel ouvrier de La Poste), et même ã un secteur de postiers qui avaient été mobilisés pour remplacer les grévistes sur leurs tournées !
L’extension du mouvement a aussi permis celle de ses revendications, dont le coeur reste la lutte contre la précarité et les restructuration, dans une entreprise qui subi un processus de privatisation depuis sa transformation en société anonyme en mars 2010. La Poste reste la plus grande entreprise de France, mais a perdu 80 000 emplois entre 2002 et 2012, une véritable saignée au nom des profits...qui se portent très bien jusqu’aujourd’hui (627 millions d’euros en 2013 !). La lutte en cours a depuis le début développé une grande portée politique, en dénonçant ce processus et en démontrant le double discours du gouvernement, qui nous parle de la « nécessité » de se serrer drastiquement la ceinture alors qu’ils verse des centaines de milliers d’euros ã un groupe comme La Poste pour financer la précarisation de ses salarié-e-s. C’est d’ailleurs dans la prise en charge par les grévistes du 92 des revendications des salarié-e-s précaires que se trouve le caractère exemplaire de leur mouvement. Exiger l’embauche de tou-te-s les précaires, dans un contexte où précaires et intérimaires sont utilisés comme une variable d’ajustement et un levier de pression sur les salarié-e-s embauché-e-s par un patronat qui ne veut pas avoir ã payer le coût de sa crise, constitue un programme très avancé. C’est ce qui a permis que se joignent aux actions des grévistes des travailleur-se-s qui avaient déjà été licencié-e-s.
Les postiers grévistes face à la répression
Plus de 50 jours de grève, c’est au moins autant d’assemblées générales, de prises de parole collectives sur les sites qui n’ont pas encore rejoint le mouvement, et d’occupations des bureaux de la direction centrale, de celle de la Banque Postale ou encore du courrier. Face ã cette combativité et ã cette ingéniosité, la direction de La Poste a répondu avec le niveau de brutalité répressive qui la caractérise. Son objectif est en effet de mettre un terme au « mauvais exemple » donné par les postiers du 92 à leurs collègues de tout l’Hexagone et de l’Outre Mer. Elle cherche aussi ã mettre tout simplement dehors l’équipe combative qui s’est constituée autour du syndicat Sud PTT 92, en multipliant les actions en justice farfelues. Après la grève de 2012 déjà , plusieurs ex-grévistes avaient été poursuivis pour « séquestration ». Cette année, plusieurs d’entre eux ont déjà été convoqués pour de pseudos brutalité contre les cadres, qui sont inventées de toutes pièces. En pleine grève, la direction a ainsi convoqué un représentant du syndicat pour un entretien préalable au licenciement qu’elle a fait durer pendant...5h30 ! De même La Poste peut-elle compter sur les bons et loyaux services des forces répressives de l’Etat, les grévistes étant systématiquement encadrés par les CRS et la police en civil lors de leurs actions. Enfin, pour tenter d’essouffler la grève, la direction de l’entreprise est allé jusqu’à ne même pas verser la part des payes normalement garanties par la loi aux grévistes, une provocation qu’elle pourrait reproduire ce jeudi 20 mars. La loi importe visiblement peu pour les patrons de la première entreprise du pays par la taille, du moins quand c’est ã eux qu’elle fixe des obligations.
Étendre la solidarité qui s’exprime d’ores et déjà
Jusque là , la grève se maintient néanmoins grâce à la combativité des travailleurs et de leur syndicat, mais aussi grâce à la solidarité reçue de l’extérieur, qui permet de remplir la caisse de grève et de maintenir le moral haut. Des profs du secondaire, des élus de Nanterre et de Gennevilliers, des étudiant-e-s de différentes facs de la région parisienne, ont ainsi pris part aux rassemblements et cherché ã étendre la solidarité, notamment financière. C’est un travail qu’il faut poursuivre et développer, pour faire obstacle au pari que fait la direction de La Poste sur l’isolement de la grève. Sur ce terrain, une nouvelle étape pourrait bien être en train de s’ouvrir cette semaine, avec le lancement d’une grève reconductible sur deux bureaux de la région toulousaine, et des préavis de grèves déposés dans les Alpes Maritimes, à la Réunion et ã Paris. Les facteurs de la capitale protestent en effet contre l’obligation qui leur est faite de distribuer des tracts du FN non filmés, comme des prospectus. Outre une révolte légitime contre les idées anti-populaires qui sont diffusés dans ces tracts, la résistance s’organise car une telle situation amène les postier-ère-s ã être confondu-e-s avec des militants d’extrême droite, et donc parfois chassé-e-s violemment par les habitant-e-s. La manifestation parisienne qui s’est tenu dans le cadre de la journée de mobilisation interprofessionnelle hier mardi 18 mars, qui constituait à l’échelle nationale une première date de la bataille ã construire contre le Pacte de responsabilité, a permis de visibiliser la grève ã grande échelle par un point fixe devant lequel ont défilé tous les cortèges. Plus de 2000 euros ont été récoltés pour la caisse de grève, un apport important à l’approche des payes qui seront bien amputées.
Un exemple ã suivre et des leçons ã tirer
La grève en cours dans le 92 constitue d’ores et déjà un exemple de combativité et de résistance dans une situation où la majorité de notre classe reste à l’expectative face ã des attaques de grande ampleur préparées par un patronat à l’offensive et un gouvernement aux ordres. Elle pose, comme on le soulignait, la possibilité d’un programme alternatif capable de défendre les intérêts des travailleur-se-s précaires et intérimaires trop souvent jeté-e-s comme des kleenex sans réaction du mouvement ouvrier organisé. Un programme qui ouvre la possibilité d’unir l’ensemble des travailleur-se-s malgré la manœuvres de division opérées par les patrons.
Enfin, il s’agit d’une démonstration importante pour tous ceux qui théorisent que, ã défaut d’avoir disparu, le prolétariat est désormais trop atomisé, trop précaire pour représenter une force sociale capable de peser sur la réalité. Bien au contraire, ces – souvent très jeunes – travailleur-se-s de La Poste, malgré leur faible insertion dans le mouvement ouvrier traditionnel, malgré leurs contrats instables, viennent d’apporter la preuve qu’ils étaient capable d’entrer en lutte et pourquoi pas de participer aux recompositions nécessaires du mouvement ouvrier, pour que celui-ci se mette à la hauteur des défis qui lui sont posés par la crise.
19/03/2014
NOTASADICIONALES
[1] Plusieurs articles sont disponibles sur le site du secteur postal du NPA. Voir par exemple, pour 2010 : « La Poste 92 : les leçons de 66 jours de grève » (http://npa-secteurpostal.org/?p=191), et pour 2012 : « Grève des facteurs des Hauts-de-Seine : après 64 jours, une défaite pour la direction » (http://npa-secteurpostal.org/?p=275)