FT-CI

Après la tuerie réactionnaire de Charlie Hebdo

100 000 personnes dans toute la France. Le gouvernement et les organisations bourgeoises en embuscade pour imposer l’union sacrée

08/01/2015

100 000 personnes dans toute la France. Le gouvernement et les organisations bourgeoises en embuscade pour imposer l’union sacrée

La soirée du mercredi 7 janvier a été marquée par la descente spontanée, sur les places de dizaines de grandes villes du pays, d’une foule qui a mobilisé au total plus de 100 000 personnes. C’est la concrétisation de la déflagration émotionnelle provoquée par l’assassinat de 12 personnes dont 10 journalistes, dessinateurs et salariés de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, le matin même.

Ces rassemblements, souvent convoqués par des organisations du mouvement ouvrier et des syndicats de journalistes, ã commencer par celui de Paris, moins fréquemment par des mairies, comme ã Lyon où Gérard Collomb a pris la parole, ont généralement revêtu un caractère très composite. Cette physionomie a renforcé, y compris là où c’était les syndicats qui appelaient au rassemblement, le caractère flou des mobilisations, avec peu de mots d’ordre et peu d’objectifs parmi ceux qui devraient, pourtant, être les nôtres pour lutter en défense des libertés fondamentales et contre le racisme et l’islamophobie. Pourtant, de leur côté les partis politiques bourgeois et leurs relais médiatiques n’ont pas perdu une seule seconde, dès hier, avec l’intention de s’appuyer sur l’horreur du crime commis pour renforcer la politique répressive, raciste et islamophobe qui n’a fait que s’accentuer ces derniers mois, depuis l’interdiction des manifestations de soutien au peuple palestinien ã celle des mobilisations qui ont suivi l’assassinat de Rémi Fraisse par la police.

Une mobilisation significative et chargée d’émotion mais dont les contours politiques sont restés flous

30 000 personnes place de la République ã Paris, 15 000 ã Lyon et Toulouse, 7000 ã Poitiers, 5000 ã Nantes et Bordeaux, pour ne citer que les rassemblements les plus importants. Les appels lancés en début d’après-midi ont été suivis spontanément, relayés par ceux qui les recevaient par mail ou par sms. L’ambiance était à l’émotion, et la mobilisation plutôt individuelle, les organisations ayant pris ces initiatives restant un peu partout en retrait. A République, du monde est arrivé sans cesse de 17h ã 20h, jusqu’à ce que la place et les rues adjacentes soient densément occupées. Il s’agissait d’un grand rassemblement silencieux, entrecoupé de quelques slogans comme « nous sommes Charlie » ou « liberté d’expression ». La « Marseillaise », lancée ã plusieurs reprises, n’a jamais vraiment pris collectivement, une portion significative des présent-e-s n’étant pas dupes de l’opération patriotique et raciste qu’elle recouvrirait, alors que la France n’a jamais mené autant de guerres sur le sol africain et moyen-oriental que depuis ces cinq dernières années. Nous avons pu chasser un homme monté sur la statue pour déchirer un Coran aux cris de « facho casse toi ! ». Mais, inversement, alors que tout le monde connaissait le positionnement antimilitariste, antipatriote et la sensibilité libertaire et gauchiste des dessinateurs et des journalistes de Charlie assassinés, par-delà leur positionnement spécifique sur la question du voile musulman depuis 2003 et des caricatures de Mahomet, pas de slogans internationalistes, pas de mots d’ordre contre l’islamophobie (seulement le très neutre « pas d’amalgame »), contre « l’unité nationale » avec les partis de gouvernement ou contre l’escalade répressive.

Les rassemblements en régions témoignent de ce même caractère politiquement flou de la mobilisation, avec tout de même des variations importantes. A Lyon, le maire Gérard Collomb (aile droite du PS) organise et s’offre un discours ; ã Beauvais c’est carrément la Maire UMP qui a pris l’initiative, et laissé la parole au Préfet local, qui signe mille obligations de quitter le territoire français par an ! A Tours au contraire, les partisans UMP ont été empêchés de chanter la « Marseillaise » par les sifflets qui l’ont couverte. Le monde du travail, la jeunesse et les organisations politiques qui leur sont liées étaient elles aussi majoritaires ã Poitiers, et même ã Paris où ni le PS, ni l’UMP, ni aucun autre parti du régime n’est venu montrer ses drapeaux, le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis ayant fait un passage éclair en début de rassemblement.

Depuis, tout le monde l’aura remarqué, la dynamique se poursuit avec un caractère similaire sur les réseaux sociaux. Des dizaines de milliers de personnes, beaucoup de jeunes à l’image des lycéens politisés par les mobilisations de ces derniers mois, sont à la recherche d’un débouché pour exprimer leur émotion. Or, autour de cette recherche, se dessine un enjeu qui déterminera le climat des prochains jours et des prochaines semaines, et nécessite donc une véritable bataille politique de la part de notre camp si on ne veut pas que l’émotion, y compris dans les milieux marqués ã gauche, ne finisse par être le terreau d’une union sacrée derrière Hollande et les partis de la bourgeoisie, PS en tête.

Pendant ce temps-là , l’opération de récupération réactionnaire bat son plein

Cette indétermination sera en effet de courte durée, en particulier parce que l’émotion qui touche ã une échelle de masse à la suite de ce qui s’est passé hier constitue une occasion inespérée pour le gouvernement et la majorité PS de se refaire une santé, et pour les forces réactionnaires qui n’ont cessé de prendre confiance dans la dernière période. Quelques heures ã peine après les faits, le président de l’Assemblée Nationale Claude Bartolone (PS), appuyé par les présidents de groupes, appelait à la constitution d’une « union nationale ». Concrètement, cela recouvre la tentative de redorer le blason d’un régime qui a, à l’automne, assassiné un jeune opposant au barrage de Sivens, a interdit des manifestations de solidarité avec le peuple palestinien, s’appuie sur le très réactionnaire plan vigipirate pour militariser l’espace public, et n’hésite pas, depuis plusieurs semaines, ã multiplier les menaces et les pressions internationales pour intimider le peuple grec en vue des élections de fin janvier qui pourrait voir la défaite de la droite et du PASOK. Pour le gouvernement, il s’agit d’apparaitre comme le porte-voix d’une émotion collective, détournant ainsi l’attention des attaques qu’il s’apprête ã faire passer, comme la loi Macron qui démantèle des pans entiers du Code du travail. Dès ce matin, les cartes sont contrôlées à l’entrée des universités, les lycéens doivent passer leurs récrés à l’intérieur des bâtiments, des flics sont en faction et armés devant les commissariats, et les espaces publics comme les gares sont encore plus militarisés que d’habitude. Les travailleur-se-s, les jeunes, qu’on ait ou non un emploi, des papiers, nous devons mener la bagarre contre ces avancées répressives, qui démontrent une fois de plus que les libertés démocratiques ne peuvent en rien être défendues par ceux qui exploitent et oppriment, par cet Etat impérialiste et raciste.

François Hollande a convoqué d’ici vendredi les principaux-ales dirigeant-e-s de partis ã venir le rencontrer à l’Elysée afin de préparer une manifestation républicaine qui devrait se tenir dimanche. Nicolas Sarkozy a été reçu ce jeudi, et ce sera au tour de de Marine Le Pen vendredi. Toute cette caste politicienne bourgeoise a en effet un point commun : quand il s’agit de promouvoir les opérations les plus stratégiques du capitalisme français, elle tombe systématiquement d’accord. Cela a été le cas récemment lors des guerres en Côte d’Ivoire, en Libye, au Mali, en Centrafrique et cette année en Irak. C’est le cas quand il s’agit d’appuyer l’Etat d’apartheid israélien dans sa guerre contre le peuple palestinien. C’est encore le cas quand il faut faire la chasse aux migrants, aux Rroms pour lesquels Valls se vante d’avoir battus des records d’expulsion. C’est, enfin, ce qui se passe quand il s’agit de manipuler la menace du terrorisme islamique pour légitimer la répression spécifique qui touche les musulman-e-s, dans le cadre des lois récentes contre le voile et, au quotidien, par les contrôles aux faciès et la répression policière. La rhétorique développée sur tous les plateaux et toutes les radios au lendemain même de l’attentat consiste ã promouvoir la « cohésion nationale » (en appelant de manière culpabilisante les musulman-e-s ã s’y inclure) contre les extrêmes : voilà comment se prépare aussi la répression de toutes celles et tous ceux qui, demain, lutteront contre la loi Macron, contre les licenciements ou encore les expulsions de sans-papiers.

Une bataille politique pour le mouvement ouvrier

Dans ce contexte, on ne peut que regretter que des organisations comme le Parti de Gauche ou le PCF aient fait le choix, une fois de plus, de céder au chantage à l’unité que nous font, la larme à l’œil, les organisations pro-patronales et racistes qui animent la vie politique hexagonale. Les syndicats, ã commencer par la CGT, qui devrait être reçue également par le gouvernement, s’apprête ã emboîter le pas. Leur rôle devrait être, au côté du reste du mouvement ouvrier, de boycotter l’appel à la manifestation républicaine en la dénonçant pour l’immonde hypocrisie qu’elle constitue, et de prendre ã bras le corps la lutte pour les libertés fondamentales, contre la répression, et contre le racisme d’Etat et l’islamophobie. Il en va de l’unité de notre classe, ainsi que du positionnement qu’aura la jeunesse, alors que les classes dominantes avancent dans leur vaste opération de division et que, dès la nuit du 7 au 8 janvier, on a vu se multiplier dans la Sarthe, le Rhône, l’Aude, des attaques contre des lieux de culte musulmans ou des commerces tenus par des arabo-musulmans.

Cela faisait longtemps que Charlie Hebdo n’était plus seulement ce journal satirique anti-patriote, anti-militariste et anti-bourgeois, issu de Hara-Kiri et de la contestation soixante-huitarde. Depuis 2003, au bas mot, Charlie Hebdo, sous la direction de Philippe Val (passé avec armes et bagages au sarkozysme), tout d’abord, puis de Charb, défendait, sous couvert de libre-pensée et d’athéisme, le droit de brocarder violemment l’Islam tout autant que les autres religions. Dans le cadre de la véritable croisade impérialiste lancée, depuis 2001, au nom de la « démocratie » et contre « la menace moyenâgeuse djihadiste » en Afghanistan ou, aujourd’hui, au Mali, en Irak et en Syrie, il est indéniable que cette liberté de ton a participé, au moins objectivement, ã gauche, à la montée de l’islamophobie. Autant nous avons pu dénoncer ces travers, autant l’extrême gauche révolutionnaire et internationaliste se doit, aujourd’hui, de condamner sur des bases de classe, antiracistes et internationalistes, l’acte barbare qui a visé la rédaction d’un journal satirique qui fait partie, avec toutes ses contradictions et ses limites, des références de la gauche et du mouvement ouvrier hexagonal. C’est sur cette base que l’extrême gauche devrait prendre en charge la lutte contre la répression et les atteintes aux libertés qui vont viser les classes populaires et, en particulier, les secteurs qui subissent le plus la stigmatisation et l’oppression raciste et islamophobe.

Alors que ce sont majoritairement les organisations ouvrières qui ont appelé aux rassemblements de mercredi soir (Paris la CGT, le SNJ et Solidaires, par exemple) ou ont relayé les appels, celles-ci n’ont pas réussi ã donner le caractère de classe, en défense des libertés et contre toute union nationale réactionnaire, qu’il aurait fallu développer. Dans les faits, elles ont été présentes avec de nombreux militants, parfois du matériel, mais leur attitude passive a en bonne partie déterminé le caractère flou de la mobilisation. C’est une faiblesse qu’il faut dépasser car elle pourrait laisser la place, très rapidement, ã une récupération politique des partis du régime, au nom de la « civilisation » contre « la barbarie ».

Nous ne devons pas céder au chantage à la dépolitisation orchestrés par le gouvernement, car la tuerie réactionnaire de Charlie Hebdo révèle en filigrane tout autant le rôle, en dernière instance, de l’impérialisme français, qui alimente, au quotidien, par ses soutiens criminels à l’étranger, ses interventions militaires et ses occupations armées, cet islamisme réactionnaire, mais donc également les tâches urgentes qui sont posées au mouvement ouvrier. Alors que les capitalistes français aux abois mènent une politique toujours plus agressive dans leur ancienne périphérie coloniale et au-delà , dont les populations sont les premières victimes, alors qu’ils ont, cet automne développé une stratégie de la tension contre les mobilisations visant ã effrayer préventivement quiconque souhaiterait contester leur offensive de régression sociale, le mouvement ouvrier a la responsabilité d’organiser la résistance ã cette accélération répressive. C’est à lui de se mettre à la tête de la défense des libertés fondamentales, avec ses méthodes, en montrant que l’Etat des classes dominantes est sur ce terrain notre véritable ennemi, et que le discours contre les musulmans doit être combattu. Des initiatives de rue doivent être lancées pour contrecarrer la récupération républicaine qui a déjà bien avancé.

08/01/2015

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