FT-CI

Édito de la revue Clase contra Clase

L’irruption de la jeunesse provoque les premières fissures dans le Régime hérité de Franco

09/06/2011

Édito de la revue du même nom, Clase contra Clase [1] n°25, juin 2011

Pendant les dernières semaines les places des principales villes de l’Etat espagnol ont été au centre de l’attention de tout le monde, notamment des militants ouvriers et de la jeunesse. Tous ont suivi de près le déclenchement, dans l’un des pays d’Europe les plus frappés par la crise économique capitaliste, d’un grand mouvement de la jeunesse contre les perspectives sombres auxquelles les patrons, les banquiers et les politiciens à leur service nous condamnent. Les dizaines de rassemblements et de campements (« acampadas ») dans plusieurs villes du monde en sont une preuve.

Le processus a commencé avec les mobilisations massives qui, au cri de « pour une démocratie réelle tout de suite », se sont développées le 15 Mai (15M). La plus forte répression de la mobilisation, ã Madrid, a déclenché une réaction pour la libération des manifestants interpellés qui a pris la forme d’un premier campement. Après une première évacuation, les « acampadas » se sont massifiées et étendues sur tout le territoire. Vers la fin de la semaine, les campements ont coïncidé avec les élections municipales régionales.

Des dizaines de milliers de personnes ont défié l’interdiction de rassemblement émise par la Commission Electorale Centrale en remplissant les places, participant aux assemblées qui réunissaient des milliers de personnes, condamnant le régime politique de la constitution de 1978, ses institutions et les politiques d’ajustement pour faire payer la crise aux travailleurs. Après les élections le mouvement continue ã maintenir les principales « acampadas » et s’étend dans les quartiers.

La « génération perdue » du FMI casse la paix sociale de Zapatero

Le principal protagoniste de ce que l’on appelle désormais le « Mai espagnol » est la jeunesse qui fait face ã une situation dramatique de manque de perspectives pour le futur, qui subit un chômage de 45%, un processus très agressif d’élitisation de l’éducation, qui touche des salaires de misère... Inspirés par les processus révolutionnaires dans le monde arabe, utilisant des outils comme les réseaux sociaux et certaines méthodes comme l’occupation des espaces publics, des dizaines de milliers de jeunes sont en train de mener une lutte qui peut marquer un point d’inflexion par rapport au faible niveau conflictualité sociale jusqu’à présent, notamment due à la politique criminelle de la bureaucratie syndicale. C’est ainsi que de larges secteurs des classes moyennes et des travailleurs sympathisent et même participent aux « acampadas » et aux assemblées, même si pour l’instant les travailleurs le font en qualité de « citoyens », et non ã travers leurs propres méthodes de lutte, comme la grève, ni ã travers leurs organisations, les syndicats et comités d’usines et d’entreprise. D’ailleurs les directions des CCOO [Commissions Ouvrières, NdT] et de l’UGT [les deux principaux syndicats liés au PS espagnol, NdT] observent les rassemblements de loin, effrayés, faisant de leur mieux pour maintenir les travailleurs isolés des secteurs combatifs de la jeunesse. Ce qui a été le plus intéressant jusqu’à présent ont été certaines actions de secteurs de la jeunesse afin de se solidariser et converger avec les travailleurs en lutte. Ce mouvement surgit au moment où les gouvernements des régions autonomes préparent des attaques brutales contre la santé et l’éducation et les travailleurs de ces secteurs, ce qui peut provoquer des mobilisations importantes comme c’est déjà le cas en Catalogne.

Les premières fissures dans le régime hérité du franquisme

Après les élections, les rassemblements se poursuivent. Même si la victoire électorale de la droite a fait l’effet d’une véritable douche froide pour certains secteurs du mouvement, une avant-garde de milliers de manifestants continue ã participer aux mobilisations et aux assemblées. Les manifestants bénéficient d’un important soutien social qui s’est ã nouveau élargi, notamment en Catalogne après l’échec de l’évacuation de Plaza de Catalunya par les les Mossos [policiers de la région autonome de Catalogne] du 27 mai dernier. Comment continuer, comment étendre le mouvement, voilà les deux questions qui traversent les « acampadas » et que l’on commence ã entendre dans les AG de quartier qui se sont constituées. Sans pouvoir établir des rythmes et les formes que le mouvement adoptera on a pu voir dernièrement la manière dont commencent ã apparaître les premières fissures qui peuvent pourraient entraîner l’effondrement du régime monarchique de Juan Carlos I.

Les revendications du mouvement remettent en cause la fausse démocratie au service du patronat et des banques, exigent la fin des institutions, piliers du régime, comme la Monarchie, la fin du bipartisme et de la corruption. Voilà quelques exigences démocratiques profondes qui sont absentes de la Constitution de 1978. En même temps beaucoup de revendications pour résoudre les problèmes liés au chômage, au logement, aux services publics, etc., remettent en question le système d’exploitation capitaliste, comme le partage des heures de travail sans réduction des salaires, l’expropriation des logements aux mains des spéculateurs, la nationalisation des banques... Et tout cela se produit dans un contexte de crise économique qui ne laisse aucune marge de manœuvre pour faire des concessions –maintenant c’est le temps des attaques- et avec les médiations politiques –notamment le PSOE- et syndicales –la bureaucratie syndicale étant étroitement liée au PSOE- de plus en plus discréditées. Ces tendances de gauche s’expriment ã travers une avant- garde très nourrie, mais il est possible et en même temps nécessaire qu’elles s’étendent ã de larges secteurs de travailleurs et des masses populaires.

Construire une alternative révolutionnaire aux partis du régime

Les partis bourgeois essayent de continuer ã nous mener en bateau afin de nous enfoncer plus encore dans la misère. En effet, ils veulent nous faire payer leur crise. Le Parti Populaire [la droite espagnole, NdT], encouragé par son succès électoral qui témoigne avant tout de la débâcle du PSOE plus que de sa propre force, essaye de tirer profit des petits malheurs des socialistes afin de cacher son vrai programme. Il fait porter le chapeau de la situation actuelle au PSOE, et non au capitalisme espagnol que tout les deux défendent. Mais le PP arrivait au pouvoir en 2012 ou même avant, s’il y avait élections anticipées, il se prépare pour appliquer un plan brutal contre les travailleurs. Pour ce il essayera de convaincre les secteurs de la classe moyenne supérieure, de la classe moyenne et même certains secteurs particulièrement touchés de la classe ouvrière, que seule une politique néolibérale ã outrance pourrait faire revenir « le bon vieux temps ». Ce n’est pas par hasard si aujourd’hui le patronat espagnol refuse de signer l’accord sur la réforme des cadres de la négociation collective avec les dirigeants de CCCOO et UGT après la victoire électorale du PP. Contre l’utopie réactionnaire du PP il faut dire que la crise du capitalisme espagnol est structurelle et que le déclin de l’Etat espagnol est inévitable. Les « trente glorieuses » font partie du passé, elles ont fini avec l’époque de la « Transition ». De son côté le PSOE et son candidat potentiel, l’actuel vice-Premier ministre Rubalcaba essayeront, en utilisant les médias, d’invoquer le péril d’un possible retour de l’orthodoxie afin de sauver le parti. C’est de cette façon que si par hasard ils venaient ã gagner les élections en 2012 les socialistes appliqueraient avec une force redoublée la politique actuelle, le programme que reprend de toutes façons le PP. Voilà ce qu’exige l’Union Européenne, le FMI et la chancelière allemande Angela Merkel.

Ces différentes options patronales que les jeunes identifient aux partis et à la politique, ils les rejettent. Mais contre les partis qui défendent les intérêts des banques et du patronat on doit défendre une orientation politique ã même de représenter les millions de travailleurs, de jeunes chômeurs et précaires, d’étudiants sans futur, de retraités ruinés, d’immigrés qui sont restés au chômage après la fin du boom du BTP. On a besoin au plus vite d’avancer dans la construction d’un outil propre à la majorité exploitée et opprimée, un parti révolutionnaire des travailleurs, qui lutte contre l’Espagne centraliste, monarchique, cette Espagne qui s’oppose aux autres nationalités et qui se trouve au service d’une poignée de grands capitalistes. Il s’agit de construire un parti qui ne soit pas une autre option pour gérer ce système pourri mais qui propose d’en finir avec celui-ci et d’établir les bases d’un nouvel ordre social, politique et économique.

Pour une Assemblée Constituante Révolutionnaire, pour une République des travailleurs

Le défi qui nous est posé ã terme est d’imposer par la lutte un processus constituant de tout l’État espagnol. Nous ne voulons pas d’une réédition de la « Transition démocratique ». Avec la bourgeoisie, de ses représentants et des directions vendues du mouvement ouvrier, il est impossible d’en finir avec la Monarchie espagnole, avec le déni des droits nationaux des peuples de l’État espagnol, avec la ségrégation des immigrés considérés comme des « citoyens de seconde zone », il est impossible de liquider l’oppression économique, politique et militaire que fait peser l’impérialisme espagnols sur des dizaines de peuples dans le monde... et encore moins d’en finir avec la dictature des Emilio Botin, président de la banque Santander, et des 35 nouveaux « grands patrons d’Espagne » cités par l’IBEX [le CAC40 espagnol, NdT]. Toute notre histoire nous montre que nous ne pouvons avoir confiance qu’en nos propres forces, celles des travailleurs, de la jeunesse et des secteurs populaires.

C’est seulement ainsi que nous pourrons réussir ã répondre aux revendications que nous avançons. Nous devons imposer ã travers la lutte un processus constituant dans tout l’État espagnol, une Assemblée Constituante Révolutionnaire, formée par des représentants élus à la proportionnelle, qui permette de discuter des questions démocratiques mais aussi de l ‘alternative révolutionnaire ã mettre en avant pour affronter les conséquences de la crise pour les travailleurs et la jeunesse, cette crise que l’on vit au quotidien ã travers le chômage, la précarité croissante, le problème du logement avec des milliers de familles qui ne peuvent pas payer leurs maisons, les attaques contre la santé et l’éducation, etc.. Beaucoup de ces questions ont commencé ã être débattues dans les AGs des « acampadas » et ont été reliées à la discussion autour de cette « démocratie pour les riches » qui est la nôtre, de plus en plus dégradée et éloignée des problèmes des travailleurs. Cette issue démocratique radicale, que des milliers de manifestants exigent dans les rues, on ne pourra l’obtenir que par la lutte de tous les travailleurs et des secteurs populaires de l’ensemble de l’État espagnol. Les partis du patronat et de la monarchie vont tout faire pour éviter ce scénario. C’est pour cela qu’il faudra unifier toutes des couches de la classe ouvrière pour imposer un Gouvernement Provisoire formé par les travailleurs et les secteurs en lutte, le seul ã même d’ouvrir un véritable processus constituant révolutionnaire qui mette ã bas le régime hérité du franquisme. Dans le cadre de ce processus de lutte révolutionnaire les travailleurs, la jeunesse combative et les secteurs populaires et opprimés mettront sur pied leurs propres organisations démocratiques (l’image de ce qu’ont été les soviets dans la Révolution Russe ou, avec toutes leurs limitations, les comités révolutionnaires pendant la guerre civile espagnole. Ce sera là les bases de l’organisation d’un nouvel État, une République des travailleurs au sein de laquelle toutes les nationalités pourront exercer leur droit à l’auto-détermination.

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  • [1Clase contra Clase est le groupe de l’Etat espagnol de la Fraction Trotskyste-Quatrième Internationale (FT-QI

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