Podemos
A propos de Podemos : débat avec François Sabado
06/06/2015
Le débat organisé par la Société Louise Michel le 28 mai dernier a été l’occasion pour François Sabado de revenir sur sa vision de Podemos et de la situation dans l’Etat Espagnol [1]. Selon lui la situation cristallisée à l’issue des dernières élections municipales impose la nécessité d’une réflexion tactique et stratégique. En partant d’un accord avec ce constat, quoique moins avec les conclusions de Sabado, voici quelques réflexions rapides sur le sujet.
Pour Sabado, la percée des listes de Podemos lors des dernières élections, dans un contexte où les deux principaux partis du régime de 1978 – le Parti Populaire (PP) et le Parti Socialiste des Ouvriers Espagnols (PSOE) – se maintiennent tout de même respectivement ã 27% et 25% des voix, imposerait de « combiner "guerre de positions" et accélérations politiques ». Ce concept de la stratégie militaire très utilisé en politique, notamment par le marxiste italien Antonio Gramsci pour penser ce qu’il appelait « la révolution en occident », est utilisé ici pour polémiquer avec le projet de Pablo Iglesias d’une « "guerre éclair" pour conquérir la majorité parlementaire aux élections de novembre 2015 ».
Monéderisme de gauche ?
A l’intérieur même du cercle dirigeant de Podemos une voix s’est élevée ces derniers temps pour critiquer le « tournant vers le centre » d’un Iglesias de plus en plus aseptisé et obsédé par les scores électoraux, suivant la ligne dictée par Iñigo Errejon. Il s’agit de Juan Carlos Monedero, démissionnaire de la direction de Podemos depuis la fin avril. Pour Monedero, la formation politique, sous la direction d’Iglesias, serait en train d’abandonner ses principes et sa structuration « par en bas » devenue moins importante « qu’une minute à la télé ». Pour ce professeur de philosophie, Podemos aurait « deux âmes » – une issue de ses origines au sein du mouvement des indignés et l’autre liée ã sa transformation en parti politique cherchant ã arriver au pouvoir par les urnes – et la clé serait de réussir ã maintenir une « tension créatrice entre ces deux pôles ».
François Sabado ne dit évidemment pas cela, mais en opposant au « putschisme électoral » qui caractérise l’orientation actuelle de Podemos une « guerre de positions » appuyée sur la construction « d’unions populaires » autour des élus municipaux de Podemos et de la gauche, il finit par tomber dans une logique comparable. Ainsi, le problème ne se situerait pas, dans l’immédiat en tout cas, au niveau de la stratégie plus globale visant ã occuper des espaces dans les institutions, mais sur « les temps » et la « façon de faire ».
Réconciliation partielle avec le PSOE
Il s’agirait donc selon Sabado, et dans la mesure où « la perspective d’un gouvernement de Podemos n’est pas pour l’immédiat », de « définir une politique unitaire qui tient compte des aspirations populaires ». Tout en disant qu’il faut « refuser tout gouvernement régional ou municipal avec le PSOE », ilindique qu’il faudra étudier « au cas par cas » la possibilité d’accords « pour empêcher le Parti populaire de prendre une mairie ou permettre l’élection d’un maire de Podemos » et revendique l’exemple des appels du pied de Teresa Rodriguez (tête de liste de Podemos en Andalousie et membre d’Anticapitalistas [2]) au PSOE en guise de « conditions » pour voter pour l’investiture de ce parti, arrivé en tête aux dernières élections. Or, il est évident que demander des « garanties » ã des membres de la « caste » pour s’assurer qu’ils mèneraient une politique contraire ã celle qui a été la leur depuis de nombreuses années, ne peut que semer des illusions sous prétexte de la vieille formule du « moindre mal ».
Mais ce problème va bien au-delà du seul cas Andalou, car en de nombreuses régions comme les Asturies, les chefs locaux de Podemos penchent pour un vote favorable aux investitures du PSOE sans même avancer la moindre exigence. La multiplication de rendez-vous ã huis-clos entre des représentants de Podemos et du PSOE ces derniers jours, jusqu’à une rencontre entre les secrétaires généraux des deux formations politiques, ainsi que les déclarations récentes de Pablo Iglesias sur le fait que le PSOE serait « en train de changer » font penser qu’il ne s’agirait pas de cas isolés.
Guerre de positions… institutionnelles
Mais peut-être le cas le plus parlant est-il celui de Barcelone où la liste intégrée par Podemos est arrivée en tête, et où la future maire Ada Colau a d’ores et déjà annoncé qu’elle recherche des accords avec le Parti Socialiste Catalan (PSC – filiale catalane du PSOE) et avec les nationalistes Catalans d’Esquerra en vue d’une « majorité de gestion ». Bien plus justes ont été les déclarations de la représentante des CUP (Candidature d’Unité Populaire) qui, le soir même des élections, déclarait que « la démocratie institutionnelle, qui ne cherche qu’à obtenir des voix tous les quatre ans est injuste », et que s’il est vrai que le fait de « gagner la mairie peut-être un outil supplémentaire de notre lutte, aucune majorité au sein du conseil municipal ne peut apporter la moindre garantie dans le sens de la transformation que nous voulons ».
Sous prétexte de « l’unité populaire » que prône Sabado autour « d’assemblées représentatives qui ont construit les listes », le risque encouru est celui d’un chemin direct vers une sorte de municipalisme semblable ã celui que nous avons connu ã Porto Alegre (Brésil), où sous couvert du « budget participatif » c’est bien une politique de gestion des institutions capitalistes qui a été menée, d’abord à l’échelle locale, puis à l’échelle nationale avec l’arrivée du Parti des Travailleurs au gouvernement en 2002.
Unité populaire sans les travailleurs en lutte ?
Les conséquences de cette recherche d’une « gouvernabilité » se sont fait sentir très vite ã Barcelone, où après s’être engagée pendant la campagne ã soutenir les travailleurs de Movistar en grève [mettre en lien actif sur tout ce qui est souligné // http://www.ccr4.org/Greve-illimitee-des-travailleurs] depuis plus de deux mois, Ada Colau a fini par reconduire le contrat pour la réalisation du congrès mondial de la téléphonie mobile ã Barcelone, contre laquelle se battaient les travailleurs de Movistar (filiale mobile de la multinationale Telefonica), conditionnant la tenue de cet évènement à la solution du conflit qui les oppose à la direction de Movistar. Ce geste « responsable » de Colau a même été salué par l’ancien maire de la droite catalane, Artur Mas. Il est évident que cette déconnexion entre Podemos et d’autres variantes de listes « citoyennes », des aspirations des travailleurs les plus précaires et combatifs, est une limite considérable.
Podemos, un phénomène purement « objectif » ?
Si les positions de François Sabado ne sont pas celles de la direction de Podemos, qu’il critique justement jusqu’à un certain point, on peut néanmoins lui reprocher de présenter les faiblesses de Podemos comme des faits purement « objectifs ». D’abord il n’y a pas dans son exposé un seul mot sur le rôle néfaste joué par les directions syndicales qui pendant des années ont « accompagné » des immenses vagues de licenciements (UGT et CCOO), ce qui a indéniablement contribué ã ce que la contestation des politiques d’austérité ait eu un caractère davantage citoyen qu’ouvrier, dans un contexte où les travailleurs étaient terrorisés par la perspective du chômage. Ensuite il ne donne que très peu d’importance au fait que la section espagnole de l’organisation internationale qu’il dirige a été une des composantes fondamentales de la création de Podemos avec les contours flous qui sont les siens.
Cette section, devenue depuis l’association Anticapitalistas, n’a jamais vraiment mené de bataille à l’intérieur de Podemos, par exemple pour clarifier la notion de « peuple » dans le sens de l’indépendance de classe et d’une politique de liaison avec les luttes ouvrières qui, pourtant, existent. Ou pour préciser les contours d’un programme de rupture avec le capitalisme. Au contraire, la direction d’Anticapitalistas a soutenu le document programmatique du secteur d’Iglesias lors de la Conférence Citoyenne qui a voté les textes fondateurs de Podemos, et est même allée jusqu’à expulser son secteur critique en Andalousie parce que celui-ci refusait de soutenir la liste que Teresa Rodriguez avait constituée avec l’aile majoritaire de Podemos.
« Excellente surprise » ?
Il est sûr néanmoins que l’évolution globale de la situation dans l’Etat Espagnol va de droite ã gauche, avec des phénomènes sociaux et politiques nouveaux et intéressants. Mais le cas de la Grèce – avec toutes les différences entre les deux cas – doit nous alerter sur les risques d’une canalisation vers une politique de conciliation de classes, au travers de formations relevant d’un « réformisme de nouveau type » [http://www.ccr4.org/Syriza-Althusser-et-la-defense-de]. En ce sens le surgissement « de nouvelles forces politiques(…) pour la justice et l’égalité » ne devrait pas suffire pour parler d’une « excellente surprise », comme le fait Sabado. Il faut encore que des forces révolutionnaires ancrées chez les travailleurs puissent exister, avec une politique indépendante, pour accompagner l’expérience des classes populaires avec ce réformisme. Et cela est vrai tout autant pour l’Etat Espagnol que pour la France, où Sabado rêve de l’opportunité, pour l’heure inexistante, de créer quelque chose de comparable ã Podemos comme alternative à la crise stratégique du Nouveau Parti Anticapitaliste.
05/06/15
NOTASADICIONALES
[1] Cf. la retranscription de son exposé sur le site du NPA : http://www.npa2009.org/idees/lexperience-de-podemos-dans-letat-espagnol-son-originalite-ses-defis.
[2] Association en laquelle s’est convertie Izquierda Anticapitalista, ancienne section espagnole du Secrétariat Unifié de la IVe Internationale, pour respecter les statuts de Podemos qui interdisent aux membres de courants politiques nationaux l’accès aux postes de direction.