Le FIT et les élections du 27 octobre
Portée et signification du score de la gauche trotskyste en Argentine
16/11/2013
Christian Castillo, membre de la direction du PTS et élu député régional pour la province de Buenos Aires, revient sur la portée et la signification du score de l’extrême gauche argentine lors des élections du 27 octobre, un score étroitement lié à l’orientation politique du FIT au sein du monde du travail, dans les entreprises et au sein de la jeunesse.
Un résultat qui est loin d’être passager
Les résultats obtenus par le Front de [l’extrême] Gauche et des Travailleurs (FIT) aux élections du 27 octobre nous ont permis de faire entrer au Parlement trois députés qui ont été élus dans les provinces de Mendoza, Salta et de Buenos Aires. Une quatrième camarade aurait dû être élue, dans la province de Córdoba, et nous sommes en train de batailler en ce moment contre la fraude électorale. Au niveau provincial, nous avons fait élire des députés régionaux dans de nombreuses circonscriptions, notamment dans la province de Buenos Aires, la capitale et Mendoza. En tout et pour tout, avec prés de 1.200.000 voix obtenues au niveau national, nous avons engrangé 300.000 de plus que lors des primaires du mois d’Août, ce qui veut dire que nous avons passé la barre des 5%.
À Mendoza, en ã peine deux mois, le nombre de voix a augmenté de 90% par rapport ã notre score du mois d’août. Les médias nationaux ont minimisé les résultats du FIT lors des primaires et ont couvert le moins possible notre campagne, au point de ne pas inviter nos candidats ã participer aux débats sur les plateaux. Maintenant, ils sont bien obligés de rendre compte du résultat obtenu par la gauche anti-impérialiste, anticapitaliste et socialiste, alors qu’à l’étranger, de nombreux médias se sont fait l’écho de la poussée du FIT.
Au cours de la campagne encore, les sondeurs et les analystes ont essayé de sous-évaluer notre score dans les enquêtes d’opinion, notamment dans la province de Buenos Aires. Compliqué, du coup, de se lancer dans des interprétations lorsqu’ils ont eu connaissance des résultats. Au niveau de la classe politique, le mouvement a été assez similaire. Les gouverneurs péronistes, en visite dans la province de San Juan, se sont retrouvés ã devoir discuter de la signification du score du FIT, notamment dans les provinces de Salta ou de Mendoza, où nous avons fait 19 et 14% des voix.
Dans ces deux régions où les sondages ne pouvaient passer sous silence la poussée du FIT, l’ensemble de l’appareil médiatique local s’est mis en branle pour pointer du doigt les aspects de notre programme qui étaient censés « effrayer » les secteurs populaires. Dans ces deux provinces excentrées par rapport à la capitale et plutôt traditionnellement conservatrices, ils ont voulu faire de nos positions sur l’IVG, qui n’est pas légal en Argentine, ou sur le « problème » de la sécurité le centre des débats… avec le résultat que l’on sait.
Dans la Province de Buenos Aires, où le scrutin avait une importance toute particulière, compte tenu du poids électoral, social et politique de la région, nous avons obtenu 5% des voix, malgré la polarisation entre le Front pour la Victoire, la coalition gouvernementale, et le dissident péroniste de droite Sergio Massa, qui est arrivé en tête du scrutin. Au niveau de la grande banlieue de la capitale, nous avons dépassé Francisco De Narváez, un autre dissident péroniste, qui avait pourtant l’appui d’une fraction de la bureaucratie syndicale conduite par Hugo Moyano. De façon assez significative, par exemple, nous avons atteint 6% des voix dans la troisième circonscription de Buenos Aires, la plus peuplée, qui regroupe dix-neuf communes de l’Ouest et du Sud de la capitale.
Les analystes les plus liés au péronisme essayent de faire croire que le résultat du FIT n’est que passager. Rien n’est plus faux. Obtenir un tel score, non pas dans une seule province, mais dans plusieurs régions du pays, exprime une tendance nationale qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs.
Présence dans les entreprises, intervention dans les luttes
Le score, premièrement, est lié à l’insertion du FIT dans le monde du travail et la jeunesse, ã notre présence dans les entreprises et ã notre intervention dans les mouvements sociaux, les luttes des femmes, le mouvement LGBTQI ou contre l’impunité des crimes de la dictature et les violences policières, ã savoir ce qu’on appelle mouvement des droits de l’homme en Argentine. Cet enracinement et cette intervention se sont développés tout au long des années de présidence Kirchner, depuis 2003.
De ce point de vue, nous sommes une extrême gauche qui ne disparaît des écrans, mais surtout de la porte des usines et des entreprises, d’une élection à l’autre. Nous maintenons une présence permanente dans la lutte des classes et sur l’échiquier politique national. En 2009 déjà , le score global des partis composant actuellement le FIT approchait les 400.000 voix. À cette époque, nous avions joué un rôle dirigeant dans certains des conflits ouvriers les plus importants qui ont eu lieu sous le kirchnérisme : on songera à la grande lutte victorieuse contre les licenciements ã Kraft Foods ou alors au combat des cheminots de la ligne Roca, au cours duquel nous avons perdu un camarade, Mariano Ferreyra, militant du Parti Ouvrier, qui a été assassiné par la bureaucratie syndicale.
Pour ce qui est du PTS, nos camarades ont réussi ã reprendre à la bureaucratie syndicale péroniste un certain nombre de positions syndicales et surtout de Commissions Internes, ã savoir les structures syndicales d’entreprises, dans un certain nombre de grosses usines du cordon industriel de la banlieue Nord de Buenos Aires comme Kraft ou Pepsico par exemple.
L’unité électorale entre les différentes composantes du FIT, scellée en 2011, nous a permis de gagner en visibilité. C’est comme cela que l’on a pu obtenir plus de 500.000 voix lors des élections présidentielles de cette année-là et 660.000 pour les élections législatives qui ont suivi.
À gauche du gouvernement, donc, il n’y a pas « une extrême gauche butée, sectaire et fermée », comme le dénoncent les intellectuels « de gauche » et progressistes regroupés dans l’Espace Carta Abierta, très lié au kirchnérisme. A gauche de Kirchner, ce que l’on trouve avec le FIT, c’est une gauche lutte de classes, qui bataille ã contre-courant, en toute indépendance du gouvernement et, bien entendu, des autres partis liés au patronat.
Ce n’est certainement pas un hasard si dans les usines où le FIT compte sur une forte présence militante, les salarié-e-s ont voté ã 20, 30 voire 40% pour nous, et nous parlons, encore une fois, de grosses entreprises. Ce que montrent ce score, donc, c’est que par-delà les positions que les militants révolutionnaires ont pu arracher à la bureaucratie syndicale dans les entreprises, sur le terrain politique, au cours de la campagne, de nombreux travailleurs nous ont rejoints. On ne compte pas les ouvriers et employés qui ont relayé la campagne du FIT auprès de leurs collègues, de leurs amis, de leurs voisins, de leur famille, et surtout qui se sont proposés pour être scrutateurs et présents dans les différents bureaux de vote, une participation politique essentielle dans un pays où les bourrages d’urnes sont monnaie courante.
Déceptions et déconvenues vis-à-vis du kirchnérisme
Le deuxième aspect ã retenir pour expliquer la poussée structurelle du vote pour le FIT est la déception de secteurs important du salariat et de la jeunesse vis-à-vis du kirchnérisme. Une frange de l’électorat soutenait jusqu’à présent le gouvernement « sur la gauche » avec l’espoir que Kirchner serait l’instrument de transformations graduelles et progressives. Ces secteurs là aujourd’hui votent pour le FIT après avoir fait l’expérience du kirchnérisme au pouvoir. C’est ce qui nous conforte dans l’idée d’avoir constamment insisté sur notre délimitation à l’égard de la nature de ce gouvernement et de son orientation consistant ã feindre de soutenir les causes les plus nobles et les plus justes, dans un premier temps, pour mieux les trahir par la suite. Cette tendance s’est encore plus accentuée ã partir du virage ã droite du kirchnérisme après les élections primaires, dans le but de regagner, sur sa droite, une partie de l’électorat qui était passé à l’opposition.
L’expérience a prouvé que l’idée consistant ã soutenir qu’il était possible d’arracher des concessions et des réformes « de gauche » en appuyant une coalition électorale regroupant des représentants de la bureaucratie syndicale, corrompue et pourrie, ou des secteurs de droite, à l’image du péronisme le plus conservateur qui dirige nombre de provinces et de mairies, ou encore la bureaucratie syndicale, était parfaitement illusoire.
Un score électoral porté par les jeunes travailleur-euse-s et les étudiant-e-s
Troisième élément ã prendre en compte : les tendances de fond à l’œuvre au sein de la jeunesse, aussi bien chez les étudiants que chez les jeunes travailleurs. Ce soutien au FIT apporté dans les urnes s’explique à la fois socialement et politiquement. Pour beaucoup de jeunes qui entrent sur le marché du travail, qui sont dans l’enseignement technique ou qui parfois s’inscrivent à la fac, l’horizon est bouché. La norme, c’est le travail précaire, petits boulots et CDD et la plupart gagnent moins de 5000 pesos par mois, soit 600 euros.
Cette génération, c’est celle qui vit en direct ce que la « promesse kirchnériste » veut dire véritablement, c’est elle qui assiste en direct la crise capitaliste mondiale, qui en est ã sa septième année, avec une alternance de gouvernements de droite et de gauche qui mettent en œuvre exactement la même politique et qui vise ã faire payer la crise aux travailleurs et aux classes populaires pour mieux sauver les banques et les grandes entreprises. .
Le FIT est la seule force politique au niveau national ã avoir dénoncé systématiquement cette situation et ã avoir défendu l’idée selon laquelle c’est aux patrons de payer la crise. Dans cette élection, nous étions les seuls ã appeler ã voter contre les plans d’ajustement que planifient les grandes entreprises et qui sont soutenus ã des degrés divers par les politiciens capitalistes.
Le vote pour le FIT, un vote conscient politiquement
De ce point de vue, on peut dire le vote pour le FIT a été le vote le plus conscient de ces dernières élections. Nous avons diffusé par dizaines de milliers notre manifeste électoral dans lequel nous défendons clairement un programme de transition face à la situation actuelle, avec la perspective d’un gouvernement des travailleur-euse-s. C’est ce que nous avons mis en avant systématiquement, de façon moderne et dynamique, sur les plateaux télé et dans les studios de radio.
Cela ne veut pas dire, bien entendu, que l’ensemble de nos électeurs partagent l’ensemble de notre perspective révolutionnaire. En revanche, ils s’identifient et soutiennent une partie consistante de notre programme. Notre principal défi, maintenant, c’est de mettre les sièges que nous avons gagnés au service du développement et de l’élargissement des luttes des travailleurs, d’étayer la conscience de classe et de dénoncer les négociations que font les politiciens-patrons sur le dos des classes populaires.
Nous allons articuler les projets que nous présenterons au Parlement national et dans les parlements provinciaux avec ceux défendus par les organisations syndicales combatives, par le mouvement étudiant, par le mouvement des femmes, par le mouvement pour le droit au logement. L’enjeu, pour nos élus, ne sera pas de présenter de jolis projets pour qu’ils restent lettre morte. L’enjeu consistera ã proposer des cadres pour faciliter et développer la mobilisation et l’organisation des exploité-e-s et opprimé-e-s pour lutter pour toutes ces revendications. Dans l’immédiat, notre objectif est d’élargir notre influence militante et l’organisation des salarié-e-s au niveau des usines, des entreprises, dans les écoles et les universités. Le soutien électoral dont on nous a témoigné doit être mis au service de la perspective de la construction du grand parti révolutionnaire dont le monde du travail a besoin pour gagner.
31/10/13