Solidarité avec Leonarda et Khatchik
Quand les lycéen-ne-s changent le climat politique
17/10/2013
Une fois encore, le mouvement lycéen français nous aura pris par surprise. En 2010 déjà , pendant le mouvement des retraites, ils avaient été nombreux ã descendre dans les rues aux côtés des travailleurs. Cette fois-ci, ce sont eux qui prennent les devants, donnant la première réponse d’ampleur au crime social des naufrages au large de Lampedusa et aux attaques constantes des gouvernements européens contre les étrangers.
Le réveil des lycéens, caisse de résonance du ras-le-bol ambiant
Depuis plusieurs jours, la mobilisation s’amplifie sur les lycées contre les expulsions de deux élèves étrangers. Leonarda, 15 ans, collégienne arrêtée au cours d’une sortie scolaire et reconduite à la frontière du Kosovo avec toute sa famille, et Khatchik, 19 ans, lycéen expulsé vers l’Arménie qu’il avait fui pour échapper à l’enrôlement dans l’armée, sont devenus les symboles d’une partie de la jeunesse lycéenne, bien consciente que les politiques xénophobes des gouvernements successifs ne s’arrêtent jamais à la porte de l’institution républicaine. Ces dernières années en effet, les cas d’expulsion d’élèves, de la maternelle à l’université, se sont multipliés, venant rompre les illusions sur cette France qui se prétend détentrice de la « civilisation ».
Après un bon début de mobilisation mercredi 15, avec un millier de lycéens dans les rues de Paris, ils étaient plus de 6000 ã manifester le lendemain, avec une vingtaine de lycées bloqués sur la centaine d’établissements de la capitale, auxquels s’ajoutent quelques lycées de province (La Rochelle, Avignon, Grenoble, Toulouse...). Des grands lycées parisiens (Maurice-Ravel, Hélène-Boucher, Charlemagne, Sophie-Germain...) sont au cœur de la mobilisation, faisant revivre les meilleures heures des grands mouvements lycéens de ces dernières années contre les réformes des lycées successives, contre le CPE ou contre la réforme des retraites. Dans les cortèges, on sent bien la combativité et la créativité des lycéens, qui sortent pour l’occasion tout l’attirail nécessaire : pancartes de tous les matériaux possibles, nouveaux slogans inventés au fil de la journée, barricades de poubelles pour bloquer les portes de leurs lycées...
Dans les médias bourgeois, les commentateurs les plus malhonnêtes, avec les forces de droite en tête (notamment l’UNI-lycée) s’empressent de répéter que ces lycéens sont manipulés, et ne bloquent leurs établissements que pour éviter les cours. Ce discours sur l’immaturité politique de la jeunesse n’est pas nouveau, et a toujours servi de prétexte ã nier la force réelle de ces mouvements. Bien loin d’être dépolitisés, les lycéens aujourd’hui se font la caisse de résonance du ras-le-bol qui commence ã monter dans de nombreux secteurs de la société.
Dans le but de faire taire cette caisse de résonance trop dérangeante, on a vu pleuvoir au cours de la journée d’hier des accusations à l’encontre de la famille de Leonarda dans certains médias, avides de se jeter sur la misère de sa situation. Certains commencent ã affirmer que le père de Leonarda aurait acheté un faux certificat de mariage en France, tandis que d’autres expliquent qu’il était connu pour avoir battu ses enfants. Mais seulement une chose est sûre : c’est avant tout ce système répressif et xénophobe qui a rendu possibles les conditions de précarité et de violence dans lesquelles vivait sans doute cette famille.
Du côté du PS et du gouvernement, c’est le malaise qui règne. Ce qui se joue là pour lui, bien au-delà de la question de sa politique migratoire, c’est la crise dans lequel le placent ces mobilisations qui touchent en plein cœur son électorat traditionnel, convaincu jusque là du caractère démocratique et universel de l’éducation publique. Pour se sortir de cette situation délicate, le gouvernement se replie sur la question de la régularité des conditions d’expulsion de Leonarda, Jean-Marc Ayrault expliquant que le gouvernement « prendra ses responsabilités » selon les résultats de l’enquête administrative sur la question. Il tente ainsi de reléguer le problème des expulsions massives d’étrangers sur le terrain de la justesse administrative et du respect de « l’Etat de droit ». En réalité, il est clair que la question profonde posée par les lycéens aujourd’hui n’est pas celle des conditions d’expulsion, mais bien de l’expulsion elle-même, comme en témoigne les nombreuses pancartes de la manifestation qui réclament les retours des deux élevés, et condamnent leur exclusion du système éducatif.. Au cœur des revendications, c’est le caractère xénophobe et antisocial de ce système que les lycéens commencent ã critiquer, car Leonarda et Khatchik sont en passe de devenir les symboles des mensonges de ce gouvernement « socialiste » et de cet État « de droit ».
Un mouvement qui peut servir de point d’appui pour inverser la tendance
Ce mouvement de solidarité spontanée des lycéens envers leurs camarades étrangers vient ã contre-courant de la période que nous traversons depuis plusieurs mois au cours desquels les attaques du gouvernement et du patronat (ANI, réformes des retraites, licenciements...) ont partagé la scène médiatique avec les avancées réactionnaires de la « Manif pour tous » et des groupuscules fascistes. Avec la crise, la caste politicienne, pour se renforcer, s’est montrée toujours plus encline ã récupérer le discours de l’extrême droite. Ainsi, les politiques migratoires xénophobes qui ont expulsé Leonarda et Khatchik ne sont pas la concrétisation des positions nationalistes de la jeunesse et des travailleurs, mais au contraire, sont la mise en œuvre des intérêts des bourgeoisies européennes, trop heureuses de créer la division parmi les populations qu’elles gouvernent et d’instituer une catégorie de travailleurs encore plus exploitables. La jeunesse et les travailleurs n’ont donc rien ã gagner de ces frontières qu’on leur impose et ont raison de s’y opposer !
Faire reculer le gouvernement sur ces deux expulsions serait un bon début, mais il nous faudra aller plus loin, car on ne peut pas exclure que pour éviter une éventuelle massification du mouvement le gouvernement puisse reculer là -dessus pour préserver Valls et surtout pour maintenir dans l’essentiel sa politique réactionnaire et anti-immigrés. C’est pourquoi c’est une très bonne chose que les lycéens prennent les cas de Khatchik et Leonarda plutôt comme un symbole de toutes les politiques migratoires mises en place ces dernières années, en demandant la démission de Valls et en s’attaquant de fait à la violence du système de répression de cet État au service des classes dominantes. Pour obtenir des avancées au-delà de ces deux cas emblématiques, il faudra mettre en place un mouvement très puissant, à l’image de la lutte conte le CPE, mais cette fois-ci contre un gouvernement « de gauche ».
La journée de mobilisation d’aujourd’hui est une démonstration de la manière dont la situation peut changer rapidement étant donné le niveau de tension sociale qui règne actuellement. En ce sens, le mouvement lycéen pourrait agir non seulement comme caisse de résonance de ces tensions, mais aussi comme déclencheur d’une mobilisation plus large. Qu’on pense notamment au mouvement étudiant où plusieurs bagarres ont vu le jour, notamment ã Montpellier 3, Paris 1 ou Paris 8. La jonction entre ces deux secteurs de la jeunesse scolarisée commencerait en effet ã poser un sérieux problème au gouvernement, alors que dans les boîtes les plans de licenciements et de compétitivité suscitent des résistances et que la réforme des rythmes scolaires passe mal dans les écoles. La date du 24, journée de mobilisation nationale sur les facs, doit être l’occasion de commencer ã organiser cette jonction, étudiant-e-s et lycéen-ne-s se retrouvant ensemble dans la rue.
Aujourd’hui, plusieurs milliers de lycéen-ne-s ont fait l’expérience de leur force, en se retrouvant plus nombreux-ses qu’ils et elles ne l’imaginaient dans la rue, en rompant la discipline quotidienne, en renouant avec la tradition des blocages et en s’initiant à l’action directe. Demain, des dizaines de bahuts devraient être bloqués, et la mobilisation devrait s’étendre à l’échelle nationale. Il faut donc tout faire pour que la journée soit une réussite, qu’elle permette de discuter du plan de bataille pour développer la lutte malgré les vacances, et créer les jonctions nécessaires.
On vit ici, on reste ici ! Arrêt immédiat des expulsions ! Valls, démission !
Contre les expulsions, organisons la solidarité et l’autodéfense sur nos lieux de travail et d’étude !
Régularisation de tou-te-s les sans-papiers !
Etudiant-e-s, Lycéen-ne-s, salarié-e-s, ensemble !
17/10/2013