Que signifie la victoire du Parti Révolutionnaire Institutionnel à la présidence du Mexique ?
09/07/2012
Par Jorge Morales et Sandra Romero [1]
Après avoir perdu le pouvoir il y a 12 ans, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) a été déclaré vainqueur des dernières élections présidentielles au Mexique.
La victoire de la droite d’Enrique Peña Nieto a été conquise avec un soutien extraordinaire, ce qui témoigne de l’accord d’une grande partie du régime pour que le pays avance vers les réformes structurelles, les privatisations et aussi dans le contrôle de l’avant-garde qui commence ã s’organiser.La deuxième place est occupée par le Parti de la Révolution Démocratique (PRD) d’Andrés Manuel López Obrador tandis que l’actuel parti au pouvoir, le Parti de l’Action Nationale (PAN), n’arrive qu’en troisième place, ce qui représente un effondrement de ce parti et de sa candidate Josefina Vásquez Mota.
Malgré une forte propagande de la part de l’Institut Fédéral Electoral (IFE) pour démontrer la transparence de ces élections, des milliers de personnes sont allées vérifier le décompte des voix face à la possibilité d’une fraude. Cela témoigne de la méfiance des masses vis-à-vis de l’IFE qui avait validé la fraude contre López Obrador en 2006. Mais la principale tactique employée pour redonner le pouvoir au PRI a été de dépenser des millions de pesos en propagande en faveur de Peña Nieto, d’acheter massivement des voix, de mener une immense campagne médiatique avec des sondages truqués qui donnaient toujours en tête l’héritier politique du puissant groupe Atlacomulco [2], parfois même avec 15 points d’avance.
Dans ces élections, tout a été mis en œuvre pour donner l’impression qu’il s’agissait d’un processus exemplaire et honnête, à la différence de la fraude de 2006 qui avait déclenché un mouvement de millions de personnes dans les rues. Les grands médias se sont associés ã cet accord pour la victoire du PRI, imposant dès l’aube l’idée d’une journée pacifique et exemplaire, malgré les centaines de dénonciations d’irrégularités qui ont inondé les réseaux sociaux. Ils ont également largement insisté sur l’urgence de déclarer vainqueur de l’élection Enrique Peña. Avant même que le décompte officiel ne commence, les médias avaient présenté leurs propres sondages qui donnaient gagnant le PRI. En même temps, les candidats du PAN et du PANAL (Nouvelle Alliance) ont reconnu leur défaite avant que les résultats officiels soient annoncés, décrétant ainsi la victoire du PRI et faisant pression sur López Obrador pour qu’il accepte sa défaite.
Un accord stratégique pour renforcer les institutions
Les pressions de la part de l’IFE, des médias, du gouvernement et de son parti, entre autres, pour que le PRD accepte sa défaite visent ã frapper fort pour démoraliser les millions de votants et empêcher que ceux-ci se mobilisent comme lors des dernières élections. En effet, un large secteur démocratique du pays (ayant dépassé en nombre les voix obtenues en 2006 par le PRD) voyait dans le triomphe de l’opposition bourgeoise la possibilité d’un changement. Il faut ajouter ã cela les pressions internationales. En effet, Peña Nieto a été immédiatement félicité pour sa victoire par les présidents d’autres pays, ã commencer par Barak Obama. Ainsi, on prétend mettre fin au processus le plus rapidement possible.
Mais la perte de légitimité de l’IFE est très grande parmi les masses après que celui-ci ait validé la fraude électorale qui a permis ã Felipe Calderón de gagner l’élection de 2006. Il était fondamental que cette institution apparaisse comme un arbitre impartial lors de ces élections pour regagner un peu de prestige. C’est pour cela que la plupart des analystes politiques, des journalistes et des partis politiques applaudissent les élections garanties par l’IFE, y compris López Obrador a déclaré qu’il faisait confiance ã cette institution. Ceci est déterminant pour la prochaine période car malgré les suspicions qui pesaient sur l’IFE, il existe un commun accord pour le renforcer et le préserver comme garant de la « démocratie ».
Le retour du PRI au pouvoir a été possible grâce à l’accord avec le gouvernement et le PAN. Le président sortant, Felipe Calderón, a été le premier ã avoir félicité le candidat vainqueur et a aussitôt déclaré qu’il fera tout pour soutenir la nouvelle équipe. Des figures traditionnelles du PAN comme l’ancien président Vicene Fox, ont aussi exprimé leur soutien ã Peña Nieto. En effet, les deux partis ont un accord complet sur les réformes structurelles ã mettre en place comme la réforme du code de travail et la privatisation de l’entreprise pétrolière PEMEX. C’est pour cela qu’avec la grande bourgeoisie mexicaine comme Carlos Slim, Emilio Azcárraga (propriétaire de la chaine de TV Televisa) et Ricardo Salinas Pliego (propriétaire de TV Azteca), une nouvelle attaque contre les masses se prépare. C’est parce que le PAN n’était plus en mesure de la mener, après sa désastreuse « guerre contre le narcotrafic », que l’on a passé le manche au « nouveau » PRI.
Ces élections ouvrent de grandes opportunités pour la bourgeoisie nationale et étrangère et répondent aux exigences de Washington de maintenir l’Armée dans les rues. Elles renforcent aussi le Parlement. En effet, bien qu’aucun parti n’ait eu la majorité absolue, les chambres ne font face ã aucune remise en question de la part des masses, ce qui sera fondamental pour les négociations entre le PAN et le PRI pour imposer les réformes. Ce qui reste encore ã voir c’est le rôle de l’opposition dans le Parlement et sa relation avec les directions syndicales et l’ensemble de la gauche, y compris des secteurs de la gauche socialiste qui ont fait la campagne pour López Obrador. Le PRD, bien qu’il ait perdu les élections présidentielles, a eu de très bons résultats et a réussi ã augmenter le nombre de ses votants, même dans des états où son poids était très faible. Ainsi, son rôle en tant qu’opposition parlementaire se renforce.
Les perspectives du nouveau gouvernement et le mouvement des masses
Dans ses premières déclarations, Enrique Peña Nieto a promis qu’il allait lutter pour mener les réformes structurelles. Bien que pour l’instant il arrive à la présidence sans les turbulences qu’avait connues Felipe Calderón en 2006, sa candidature est remise en question par des milliers de personnes, notamment ã travers le mouvement « Yosoy132 » (« Je suis 132 »). Celui-ci continue ã se mobiliser contre le nouveau président, comme l’a démontré la manifestation à la veille de l’élection bravant l’interdiction, ainsi que celle du 2 juillet.
Bien que López Obrador ait déclaré qu’il ne contestera les résultats de l’élection que sur le plan légal en demandant un recompte des votes, pour éviter le développement d’une situation similaire ã celle de 2006, le seul fait de n’avoir pas encore reconnu les résultats de l’élection ouvre la possibilité d’une crise politique du régime. Cela a un impact direct sur l’avant-garde des jeunes du mouvement 132, laquelle a proposé dans des assemblées de multiplier les actions de contestation par de larges mobilisations. Alors qu’une partie importante du régime continue ã féliciter Peña Nieto, en bas on ne semble pas prêt à l’accepter, ce qui indique que le gouvernement du PRI pourrait être remis en question.
En faisant abstraction de ce qui pourrait se passer dans les prochains jours dans le mouvement et de ce que pourrait déclarer Obrador, l’accord au sommet continue ã être de reconnaitre la victoire du PRI. Peña Nieto compte d’ores et déjà avec un large soutien du gouvernement d’Obama, du PAN et de la haute bourgeoisie mexicaine, mais il aura de dures épreuves sur le terrain économique et avec le ralentissement de l’UE. Mais cela n’est pas la seule préoccupation du PRI. En effet, avec la crise économique en arrière plan, le mouvement de la jeunesse, s’il arrive ã rompre avec la direction d’Obrador, pourrait devenir un référent de la lutte de millions de mécontents avec les plans d’austérité qui seront votés au Parlement. Des milliers de personnes se sont mobilisées dans le mouvement YoSoy132 contre la candidature de Peña Nieto, qui est identifié à la répression d’Atenco1 et à l’impunité dans l’Etat de Mexico, où il a gouverné, par rapport aux fémicides. Cette avant-garde qui a pris le chemin des rues a vécu un profond processus de politisation dans une très courte période. Il est donc possible que face à la contestation contre le nouveau gouvernement, cette avant-garde de la jeunesse redescende dans les rues lutter contre les réformes avec déjà une certaine expérience.
La Ligue des Travailleurs pour le Socialisme a appelé ã voter nul dans ces élections car nous sommes convaincus qu’aucun des candidats ne représentaient les intérêts des travailleurs et que « la politique du moins pire » est impuissante pour impulser une politique indépendante où ce soient les travailleurs avec les secteurs populaires qui s’organisent pour affronter les attaques.
Quelques jours avant les élections, Obrador a signé un accord avec l’ensemble des partis en lisse où l’on s’engageait ã accepter le résultat et ã rester dans le cadre des institutions bourgeoises. Face ã cela, le mouvement de masses fait face au grand défi de lutter contre le gouvernement du PRI dans la perspective d’une organisation indépendante et restant mobilisé pour s’affronter aux plans du gouvernement et de ses alliés.
Traduit par Courant Communiste Révolutionnaire
NOTASADICIONALES
[1] Jorge Morales et Sandra Romero font partie de la Ligue des Travailleurs pour le Socialisme, section mexicaine de la Fraction Trotskyste - Quatrième Internationale (http://www.ltscc.org.mx).
[2] Le groupe Atlacomulco représente les secteurs les plus rétrogrades du système capitaliste mexicain. Il a toujours été dans les cercles de pouvoir et les liens entre ces secteurs sont évidents, même si certains d’entre eux le nient. Ce groupe se répand ã travers des liens familiaux et va au-delà des simples affaires : blanchiment d’argent, assassinats politiques, etc. ; tout cela sous le nez du pouvoir sans que les autorités ne se donnent la peine d’enquêter.