A 40 ans du coup d’Etat militaire au Chili
Retour sur une des expériences les plus avancées de pouvoir ouvrier au XXème siècle
13/09/2013
Présentation
Il y a 40 ans un coup d’état orchestré par la bourgeoisie chilienne et par l’impérialisme américain mettait fin ã un des plus profonds processus révolutionnaires de l’après-guerre. Cet événement ouvrait une période sombre de l’histoire chilienne, celle de la dictature civil-militaire du Général Pinochet sous laquelle environ 30 000 travailleurs et jeunes ont été assassinés après avoir subi la terreur et la torture. Lors de cet anniversaire, nombreux sont ceux qui ont rendu hommage à l’ancien Président du Chili, Salvador Allende, qui s’est suicidé dans l’enceinte du palais présidentiel assailli par des bombardements aériens. Pour notre part, nous souhaitons plutôt rendre hommage ã tous ces travailleurs et jeunes, pour beaucoup anonymes, qui ont été les véritables héros de cette révolution manquée. Le texte dont nous reproduisons ci-dessous des extraits, constitue un document historique d’une grande valeur : il témoigne de l’expérience et des leçons que les travailleurs les plus avancés, organisés dans des organismes de quasi double pouvoir (les Cordons Industriels), ont pu tirer de la direction d’Allende et de sa stratégie de « transition pacifique au socialisme ». Ce bilan n’a cependant pas suffit pour qu’ils se dotent ã temps d’une direction révolutionnaire, apte ã éviter la catastrophe qui s’annonçait avec l’arrivée de Pinochet au pouvoir - ce même Pinochet qu’Allende, avec le soutien du parti communiste, avait alors nommé à la direction de l’Armée -, apte ã préparer un rapport de force qui soit favorable à la classe ouvrière face aux affrontements décisifs entre forces révolutionnaires et contre-révolutionnaires qui devaient avoir lieu. Dans une période de crise capitaliste profonde, ã un moment où les débats sur le Front Unique et le « gouvernement de gauche » de type Syriza reviennent sur le devant de la scène, ce document, par les leçons qu’il tire de l’expérience chilienne, est certainement d’une grande utilité pour éduquer les nouvelles générations, qui tacheront de rendre le meilleur hommage qui soit à leurs camarades chiliens, celui d’accomplir à l’échelle internationale leur œuvre inachevée, celle d’une véritable révolution ouvrière et socialiste.
Lettre de la Coordination des Cordons au président Salvador Allende
5 septembre 1973
C’est ça, « notre » gouvernement ?
A son Excellence le Président de la République.
Compañero Salvador Allende :
13[…] nous exigeons que soit accompli le programme de l’Unité populaire. En 1970, nous n’avons pas voté pour un homme, nous avons voté pour un programme. Curieusement, le Chapitre premier du Programme de l’Unité Populaire s’intitule « Le Pouvoir Populaire ».
Nous lisons, page 14 du programme :
« Les forces populaires et révolutionnaires ne se sont pas unies pour lutter en vue de la simple substitution d’un Président de la République par un autre, ni pour remplacer au Gouvernement un parti par d’autres, mais pour mener ã terme les changements de fond que la situation nationale exige, sur la base du transfert du pouvoir, des anciens groupes dominants aux travailleurs, aux paysans et aux secteurs progressistes des classes moyennes […] Transformer les institutions actuelles pour instaurer un nouvel État dans lequel les travailleurs et le peuple exerceront réellement le pouvoir. » […] Page 15 : « A travers un processus de démocratisation ã tous les niveaux et une mobilisation des masses se construira, ã partir de la base, la nouvelle structure du pouvoir. »
Compañero Allende, si nous n’avions pas précisé que ces phrases étaient tirées du programme de l’Unité populaire, qui était un programme minimum pour la classe ouvrière, on aurait pu nous dire que c’était le langage extrémiste des cordons industriels.
Mais nous demandons maintenant : Où est le nouvel État ? […] Trois années se sont écoulées, compañero Allende, et vous ne vous êtes pas appuyé sur les masses. Maintenant, nous autres travailleurs, nous avons perdu la confiance. Nous, travailleurs, nous avons senti une frustration profonde et du découragement quand vous le Président, le Gouvernement, les partis, les organisations, vous nous avez donné plusieurs fois l’ordre de nous replier au lieu d’avancer. […]
Nous savons que dans l’histoire des révolutions, il y a toujours eu des moments pour se replier et des moments pour avancer, mais nous savons, nous avons la certitude absolue, que dans les trois dernières années nous aurions pu gagner non seulement des batailles partielles, mais aussi la lutte totale. […] En octobre, quand ce furent la volonté et l’organisation de la classe ouvrière qui maintinrent le pays en marche face au blocage patronal, une lutte dans le feu de laquelle naquirent les cordons industriels, et que purent ainsi être maintenus la production, le ravitaillement et les transports grâce au sacrifice des travailleurs, nous offrant ainsi la possibilité de donner à la bourgeoisie un coup mortel, vous ne nous avez pas fait confiance ! Personne ne pouvait alors nier l’énorme capacité révolutionnaire démontrée par le prolétariat, et vous avez donné ã tout cela une issue qui a été comme une gifle à la classe ouvrière, en instaurant un Cabinet civico-militaire, et en y incluant en plus deux dirigeants de la Centrale Unique des Travailleurs qui, en acceptant d’intégrer ces ministères, firent perdre toute confiance aux travailleurs dans ce syndicat […].
[…] Nous vous avertissons, compañero, que malgré tout le respect et la confiance que nous avons pour vous, si vous n’appliquez pas le programme de l’Unité Populaire, si vous ne vous en remettez pas aux masses, vous perdrez l’unique appui effectif que vous avez eu en tant que personne et en tant que dirigeant, et que vous serez responsable d’avoir emmené le pays non pas vers une guerre civile, puisqu’elle est déjà en cours, mais vers le massacre froid et planifié de la classe ouvrière la plus consciente et la plus organisée d’Amérique latine. […]
Signés :
1) La Coordination provincial des Cordons industriels
2) La direction provinciale de l’approvisionnement direct.
3) Le Front unique des travailleurs en lutte.