A bas Mubarak !
Vive la lutte des travailleurs et du peuple d’Egypte
03/02/2011
Les variantes contre-révolutionnaires
Face à l’imposant mouvement de masses, le régime, appuyé sur l’Armée, l’impérialisme –notamment l’américain- et l’opposition bourgeoise au régime de Moubarak sont en train de chercher une issu viable pour dévier le processus et éviter sa radicalisation.
Cependant, le refus de Moubarak ã quitter le pouvoir polarise la situation. On ne peut pas écarter la possibilité même que celui-ci cherche ã y rester ã travers d’une répression sanglante, bien que cette alternative semble très risquée et pourrait provoquer la division de l’Armée.
L’Armée, qui bénéficie d’un certain prestige populaire ã cause de sa relation avec la fin de la monarchie et la montée du nationalisme de Nasser au début des années 1950, a pris de fait le contrôle de la situation et joue un rôle d’arbitre et principal soutien du régime et de Moubarak, en même temps qu’en refusant de réprimer les masses alimente au sein de celles-ci l’illusion qu’elles peuvent faire confiance aux forces armées. Cette confiance envers l’Armée a été un élément clé, jusqu’à présent, pour retarder la radicalisation du processus.
Une autre possibilité c’est que Moubarak tombe mais qu’il y ait une continuité du régime avec le vice-président Omar Souleymane, un étroit allié de Moubarak qui bénéficie de la confiance des Etats-Unis pour les services prêtés contre le peuple palestinien, et le chef des forces armées, Sami Anan. Une autre possibilité encore c’est qu’à ces personnages viennent s’ajouter des figures de l’oposition bourgeoise comme l’ex directeur de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique de l’ONU, Mohamed Elbaradei, une figure qui bonifierait en outre avec le soutien des Frères Musulmans, une organisation islamiste traditionnelle et conservatrice qu’est la principale force d’opposition ã Moubarak. Ce faible gouvernement serait chargé de préparer les élections présidentielles.
Bien que pour l’instant les Etats-Unis soutiennent Moubarak car ils craignent sa chute révolutionnaire et n’ont pas d’alternative crédible et fiable, sa politique semble être celle de défaire le mouvement ã traves d’une variante de « réaction démocratique », conscients qu’une répression violente peut approfondir le processus révolutionnaire et avoir des conséquences dans toute la région du Maghreb qui est dans un état virtuel de rébellion. Cette politique de réaction démocratique est partagée par les puissances impérialistes de l’Union Européenne qui voient d’un œil craintif la possibilité que les processus au Maghreb et en Moyen Orient aient des conséquences dans leurs pays.
Une crise pour la domination impérialiste
Etant donné l’importance géopolitique d’Egypte, son poids démographique et son rôle dans le monde arabe, la possibilité qu’une révolution ouvrière et populaire finisse avec le régime de Moubarak aurait d’énormes conséquences régionales et même mondiales.
L’Egypte c’est l’un des principaux pays arabes, avec une population de 80 millions d’habitants, un fort prolétariat concentré, des classes moyennes et des pauvres urbains, en plus d’un poids politique décisif.
D’un point de vue économique, l’Egypte joue un rôle déterminant pour le transport de pétrole. A travers le Canal de Suez et l’oléoduc Suez-Méditerranée, circulent chaque jour quelque 3 milliards de barils de pétrole en provenance des pays producteurs du Golf jusqu’à la mer Méditerranée. La crainte d’une éventuelle fermeture du Canal de Suez pourrait faire monter ã des niveaux exorbitants le prix du pétrole, qui est déjà ã la hausse, ce qui aurait des conséquences imprévisibles pour l’économie mondiale. Ceci mettrait en question non seulement la faible reprise de certains pays développés mais la croissance de pays émergents comme la Chine, ce qui aurait des conséquences pour l’ensemble de l’économie capitaliste.
Du point de vue des intérêts géopolitiques de l’impérialisme, ce serait un coup qui aggraverait le déclin hégémonique des USA qui n’ont pas réussi ã mettre fin aux guerres d’Irak et d’Afghanistan et non plus ã obliger le régime iranien, qui s’est renforcé en tant que puissance régionale, ã abandonner son programme nucléaire.
Comme en 1979 lors de la chute du Chah en Iran, les USA perdraient un allié fondamental dans la région, en prenant en compte qu’Egypte avec la Jordanie ce sont les seuls pays arabes qui ont signé la paix avec l’Etat sioniste d’Israël. Moubarak a représenté un rempart des intérêts nord-américain, en collaborant avec la politique d’oppression sur le peuple palestinien et justifiant sa dictature brutale sous prétexte du combat contre les groupes islamistes radicaux et les Frères Musulmans. Le régime de Moubarak, pour ces services, reçoit de la part des USA 1,5 milliards de dollars par an comme aide financière militaire, la plus importante après Israël. C’est pour cela que tous les régimes pro-impérialistes, depuis les gouvernements arabes réactionnaires jusqu’à la corrompue Autorité Nationale Palestinienne et le gouvernement d’ultra-droite israélien de Netanyahu soutiennent Moubarak, puisque sa chute ouvrirait une situation de grande instabilité qui pourrait changer de façon décisive le rapport de forces dans la région.
Mais surtout une révolution en Egypte serait un exemple pour les peuples arabes et musulmans qui se soulèvent contre leurs propres gouvernements pro-impérialistes et dictatoriaux et aurait de très grandes conséquences pour la lutte de classes internationale, puisqu’elle serait une réponse révolutionnaire des exploités et opprimés à la crise capitaliste et à la domination impérialiste.
Un programme révolutionnaire
Les mobilisations en Tunisie qui ont débouché sur la chute de Ben Ali, ont été le catalyseur du processus révolutionnaire qui a éclaté en Egypte et qui a mis sur scène les aspirations profondes des masses : finir avec la pauvreté, le chômage, les inégalités sociales insupportables et le régime dictatorial et pro-impérialiste de Moubarak, qui depuis 30 ans assure avec un poing de fer la stabilité nécessaire pour les affaires capitalistes, les privatisations, les politiques néolibérales, avec la collaboration de la bureaucratie syndicale et un puisant appareil répressif.
Le résultat de plusieurs décennies d’oppression et d’exploitation est que le salaire moyen d’un travailleur égyptien est de près de 75 dollars par mois et le taux de chômage de presque 24%, même si les statistiques officielles l’évaluent ã 12%. Ces conditions de misère que subissent au moins 40% de la population de plus de 80 millions de personnes, qui vit avec ã peine 2 dollars par jour, entassés dans les banlieues du Caire et des grandes villes du pays, se sont aggravées sous les effets de la crise économique internationale, qui a fait grimper les prix des aliments de base dans un pays essentiellement importateur de blé et d’autres aliments.
Le processus révolutionnaire ouvert aujourd’hui en Egypte n’a pas surgi du néant, mais a été précédé d’années de résistance ouvrière et populaire, notamment des travailleurs textiles qui entre 2006 et 2008 ont mené d’importantes grèves avec occupation d’usine dans la ville industrielle de Mahalla dans le Nord du pays.
C’est cela qu’explique que les travailleurs, avec les jeunes chômeurs et la classe moyenne instruite qui ne trouve pas d’emploi et les pauvres des villes, soient aujourd’hui une force fondamentale du mouvement de lutte contre le régime de Moubarak. Malgré leur direction alliée du régime, plusieurs syndicats et organisations regroupées dans la coalition 6 Avril (apparue lors du processus de lutte de 2008) ont lancé un appel à la grève générale qui a coïncidé le 1er février avec la dénommée mobilisation du million et certains secteurs ont commencé un processus d’organisation en dehors de la centrale officielle.
Mais malgré l’intensité et la massivité des mobilisations, le processus révolutionnaire est encore ã ces débuts : Moubarak reste au pouvoir et l’Armée, principal pilier du régime et de l’Etat capitaliste, reste encore intacte. Il faut que la lutte se développe vers une grève générale politique jusqu’à ce que Moubarak parte. Face aux attaques de bandes armées d’irréguliers, de la police et éventuellement de l’Armée, se sont déjà créés quelques comités pour défendre les mobilisations ; il faut généraliser l’auto-défense ouvrière et populaire pour diviser l’Armée et les forces de répression.
Aucune des demandes structurelles du mouvement ne pourra trouver une réponse d’un quelconque gouvernement de la bourgeoisie égyptienne que remplace celui de Moubarak. Elbaradei, qui se présente comme l’alternative, est une des variantes qu’envisage l’impérialisme comme une issue transitoire et les Frères Musulmans sont une organisation qui défend l’ordre social établi et comptent parmi ses membres des représentants de la bourgeoisie locale.
Pour avancer de manière décisive il faut que la classe ouvrière, alliée aux jeunes chômeurs et à la population pauvre des villes et des campagnes, se donne ses propres organismes d’auto-organisation et d’un programme et une stratégie révolutionnaire indépendante du régime et des variantes d’opposition qui, loin de représenter les intérêts des exploités, sont la soupape d’échappement pour une « transition démocratique » qui sauve les capitalistes et préserve les intérêts de l’impérialisme. Contre le piège des transitions ordonnées, les élections, ou la continuité du régime -avec ou sans Moubarak-, la seule issue démocratique est la réalisation d’une Assemblée Constituante révolutionnaire, qui accélérerait l’expérience des masses avec ses aspirations démocratiques et serait un élan pour la lutte pour un gouvernement ouvrier et populaire basé sur des organes de démocratie ouvrière qui exproprierait les capitalistes et l’impérialisme et qui soit le premier pas de la révolution socialiste au Maghreb et dans l’ensemble des pays du monde arabe.