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Nigeria

L’enlèvement des filles au Nigeria et le cynisme de l’impérialisme

21/05/2014

L’enlèvement des filles au Nigeria et le cynisme de l’impérialisme

L’enlèvement de plus de deux cents filles au Nigeria par le groupe fondamentaliste islamiste Boko Haram a provoqué un émoi mondial. Dans la première vidéo diffusée, des membres de ce groupe affirmaient leur projet de vendre les jeunes filles « au marché ». Récemment, ils ont produit une nouvelle vidéo dans laquelle ils proposaient au gouvernement nigérian de les échanger contre des prisonniers de leur organisation.

Depuis le 14 avril, date à laquelle elles ont été kidnappées dans leur école, leurs familles se sont mobilisées pour révéler leur sort au grand jour. Dans leurs manifestations, elles accusent le gouvernement nigérian du président Goodluck Jonatah de ne pas avoir mis en place tous les efforts nécessaires pour les retrouver, alors que des rumeurs font penser que le gouvernement fut informé de la situation avant même l’enlèvement, sans pour autant tenter de l’en empêcher. L’une des leaders de la mobilisation fut d’ailleurs détenue, sous ordre de l’épouse du président, Patience Jonathan. Les familles et militants ont alors lancé une campagne de mobilisation internationale par les réseaux sociaux portant le nom « #bringbackourgirls » (« rendez-nous nos filles »). Ce hashtag a ensuite été repris plus de 3 millions de fois ã travers les réseaux sociaux et a été relayé par des acteurs et des personnalités célèbres de différents pays.

Cette situation hors du commun a provoqué indignation et douleur ã travers le monde. Quelques unes des filles kidnappées ayant pu s’échapper ont relaté leurs mauvais traitements, plusieurs fois violées et terrorisées, dans le but de les utiliser comme « monnaie d’échange » dans les négociation avec le gouvernement du Nigeria.

Qu’est-ce que Boko Haram ?

L’enlèvement et les violences envers ces jeunes filles par le groupe Boko Haram sont des actes abominables qui relèvent d’une idéologie purement réactionnaire, en voulant instaurer la « loi islamique » à l’ensemble de la société et en usant de mesures de terreur, par l’enlèvement et l’assassinat de membres de la population locale. Ce groupe est né en 2002 et agit dans le Nord du Nigeria, ã majorité musulmane, à la différence de la partie Sud du pays, ã majorité chrétienne. Il s’est construit et s’est renforcé en s’appuyant sur le désespoir et l’impuissance d’une population devant une situation de pauvreté extrême, de corruption du gouvernement et d’une crise sociale aigüe, tout en désignant « l’Occident » comme la source de cette situation et la religion comme solution et alternative. Ils entretiennent des liens étroits avec les gouvernements locaux et ont reçu le soutien de groupes comme Al-Qaïda au niveau international. Ces dernières années, ils ont renforcé leurs méthodes réactionnaires d’enlèvement et d’assassinat. Parallèlement, c’est le gouvernement nigérian lui-même qui a commis des crimes massifs dirigés contre la population civile, ainsi que de nombreux assassinats dans des centres de détentions, sous le prétexte de « la guerre contre le terrorisme ». Ce sont des milliers des personnes qui ont été assassinées au cours des affrontements entre ce groupe et les forces militaires du gouvernement.

Le Nigeria : pétrole, multinationales et oppression des femmes.

Le Nigeria compte une population de 170 millions de personnes, qui font de lui le pays le plus peuplé d’Afrique. Il possède des ressources souterraines, de grande valeur, étant aujourd’hui le premier producteur de pétrole en Afrique, ce qui fait de lui la première économie du continent, devant l’Afrique du Sud. C’est le premier exportateur de pétrole pour des pays comme l’Etat espagnol, et le huitième exportateur de pétrole dans le monde. Mais les 80% des ces bénéfices dérivés de la vente du pétrole ne reviennent qu’à 1% de sa population. 68% de celle-ci vit sous le seuil de pauvreté, avec un taux de chômage ã 24% et une espérance de vie à la naissance qui ne dépasse pas les 52 ans.

D’un autre côté, l’ « or noir » s’est transformé en « fumier noir » pour une immense majorité de la population, du fait de l’aggravation de la pollution de la terre et de l’eau. La zone du delta du Niger est un véritable paradis pour les multinationales comme Shell, Chevron, Texaco ou Exxon Mobil. Les multinationales allemandes, anglaises, chinoises et américaines se sont appropriées d’immenses exploitations, expulsant des pans entiers de la population rurale qui se sont alors dirigés vers les grandes villes pour survivre. C’est ici en réalité que ce situe le premier terreau des réseaux de traite et de trafic de femmes.

Dans son célère roman « La constance du jardinier », inspiré de faits réels, John Le Carré met en scène l’avidité et la cruauté des multinationales au Nigeria. Il relate en effet comment la multinationale de produits pharmaceutiques Pfizer a réalisé des expériences sur des enfants de la population rurale pour tester son nouveau médicament Trovan, entraînant la mort de dizaines d’entre eux.

Voilà les raisons profondes qui renforcent l’exploitation et l’oppression patriarcale des femmes. Il ne s’agit pas là comme on voudrait nous le faire croire d’un « retard millénaire » de ces populations ou bien des « traditions patriarcales » de leurs cultures. L’apparition des groupes fondamentalistes et de leurs méthodes réactionnaires comme Boko Haram prend ses racines dans cette situation de crise sociale et politique aigüe, provoquée par l’exploitation impérialiste.

Néocolonialisme, islamophobie et « droits des femmes »

Autour de cet enlèvement a émergé une campagne basée sur un discours impérialiste « humanitaire », propagé par les grands médias. Les photos de Michelle Obama et María Dolores de Cospedal du PP espagnol avec un panneau « #bringbackourgirls » sont l’image la plus claire de cette opération. Les Etats-Unis et d’autres gouvernements ont envoyé des « spécialistes » accompagnés de membres de leur force armée pour « collaborer » dans la recherche des filles, avec la bénédiction du président du Nigeria. Ceci n’est peut-être qu’un prélude ã une intervention de grande échelle « contre le terrorisme » ou ã une installation plus permanente de troupes nord-américaines dans la région par le biais d’Africom (commandement du département de défense des Etats-Unis en Afrique).

Le discours dominant qui se construit autour de cet enlèvement est que tout ceci s’explique par la situation du Nigeria en tant que « pays arriéré », pays qui serait « loin de la civilisation occidentale » et « menacé par des islamistes fondamentalistes qui oppriment les femmes », ce qui permet, à l’inverse, de revendiquer les vertus de la démocratie occidentale et de l’économie de marché, où « les droits humains et des femmes sont respectés ». De cette façon, on renforce l’idée d’un « choc des civilisations », comme l’annonçait l’intellectuel conservateur Samuel Huntington dans les années 90, et on permet d’effacer et de diluer les contradictions de classe et les oppressions existant dans le « monde occidental », face ã un ennemi « fondamentaliste » qui nous menacerait.

L’islamophobie et le discours impérialiste « humanitaire » marchent ici main dans la main, tout comme ils ont pu marcher ensemble ces dernières années pour justifier l’occupation de l’Afghanistan ou de l’Irak ainsi que les interventions militaires et leurs « dommages collatéraux ». Par ce biais, il construit une idéologie contre un « ennemi islamique », assimilant les populations arabes et musulmanes ã ces groupes fondamentalistes réactionnaires et les traitant alors comme potentiels « terroristes ».

L’expression la plus claire et la plus durable de cette offensive impérialiste islamophobe est le sionisme. Le discours de la civilisation « avancée » contre la « barbarie » islamiste a servi de prétexte pour justifier tout type d’atrocité commise en ignorant non seulement les « droits humains » mais aussi la législation internationale même. La liquidation d’un peuple sans défense est cachée sous la propagande de lutte contre « le terrorisme ».

D’un autre côté, ce discours s’appuie sur une soi-disant défense des droits des femmes. Comme le soutient la féministe socialiste américaine Hester Eisenstein, ces dernières décennies, les centres de pouvoir impérialistes se sont appropriés le discours « féministe libéral » pour compléter leur discours islamophobe. Nous sommes face à la construction d’un récit qui montre deux pôles qui s’affrontent, d’un côté, celui des civilisations occidentales modernes où on respecte les droits des femmes. D’un autre côté, celui des sociétés traditionnelles patriarcales et islamistes.

Ce « féminisme impérial » reprend la tradition du « féminisme colonial » du XIXème siècle, qui à l’époque utilisait les mêmes arguments pour justifier la domination coloniale en Asie et en Afrique. L’aspect le plus cynique de celui-ci réside dans le fait qu’il utilise aujourd’hui les conquêtes obtenues en matière de droits des femmes aux Etats-Unis, en Europe et dans d’autres pays ces dernières années pour ses propres intérêts, alors même que ces conquêtes n’ont été gagnées par les femmes qu’au moyen de grandes luttes contre ces mêmes pouvoirs impérialistes. Ils préfèrent oublier que le capitalisme, l’impérialisme et le patriarcat se renforcent, non seulement « au-delà des frontières », mais bien à l’intérieur même de leurs propres pays impérialistes.

Obama et Cospedal (secrétaire générale du Parti Populaire espagnol) se sont jointes à la campagne « #bringbackourgirls ». Mais si ces mêmes jeunes filles étaient en train de tenter de traverser les frontières pour arriver en Europe, elles seraient repoussées avec violence, déportées, expulsées par les lois xénophobes des ces pays ou bien encore retenues dans des centres de rétentions pour étrangers, véritables prisons pour les immigrés sans-papiers. Cospedal ne s’inquiète pas par les multiples violations des femmes migrantes qui ne peuvent même pas dénoncer leur situation. Elle ne se prend pas en photo pour les filles victimes d’esclavage dans les ateliers textiles au Bangladesh ou au Maroc, qui travaillent pour la « marque Espagne » d’Inditex. Cospedal se montre inquiète pour les filles auxquelles l’intégrisme islamiste veut enlever le droit à l’éducation mais oublie la quantité de filles et de garçons qui dans l’État espagnol ont vu leurs droits coupés en matière d’éducation et de santé.

Michelle Obama se montre « bouleversée » par les filles du Nigeria, mais en aucun cas pour les milliers de femmes et de filles qui sont mortes dans les guerres impérialistes en Irak et en Afghanistan ces dernières années. Ou pour les palestiniennes assassinées par l’Armée d’Israël, le principal allié de « l’Occident » dans leur croisée contre « l’axe du mal ».

L’enlèvement des filles et leur possible vente pour une poignée d’euros comme des « marchandises sexuelles » ont été dénoncés massivement. Mais la traite des femmes au Nigeria a son principal marché en Europe, et une grande porte d’entrée ã travers les frontières espagnoles. Ces réseaux de traite sont des opérations capitalistes systématisées, avec des « fournisseurs » et des « commerçants » faisant partie de mafias locales, qui garantissent le déplacement des jeunes filles depuis leur pays d’origine, traversant par le désert et les villes, pour atteindre la côte du Maroc, de l’Algérie ou de la Libye, où elles seront « livrées » en Italie, dans les pays d’Europe de l’est ou dans l’État espagnol.

Avec la crise capitaliste, les gouvernements impérialistes avancent dans la liquidation des droits que les femmes avaient acquis ces dernières décennies, et montrent par ce biais que sous le capitalisme les droits ne sont jamais écrits dans le marbre. Ainsi nous l’avons vu en Espagne avec la Loi Gallardon de remise en cause du droit à l’avortement, en France avec les fermetures de centre IVG suite au plan d’austérité dans les hôpitaux, ou bien encore avec les fermetures de postes dans les garderies, les fermetures de maternité ou bien encore les licenciements massifs. Une forte condamnation de cet enlèvement abject et des violences commises sur les jeunes nigérianes ne doit pas impliquer de s’aligner sur le discours et la politique impérialiste d’interventions « humanitaires ». Il faut une position indépendante, portée par les familles de ces jeunes filles, par les travailleur-se-s et par les classes populaires nigérianes, tout en continuant ã amplifier la mobilisation internationale pour leur libération.

La lutte contre le patriarcat et l’oppression des femmes, où que ce soit dans le monde, doit être indissolublement liée à la lutte contre le capitalisme et l’impérialisme.

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