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Printemps, automne, hiver ?

Trois scénarios pour les processus révolutionnaires arabes

01/10/2013

Trois scénarios pour les processus révolutionnaires arabes

Depuis janvier et février 2011, la métaphore saisonnière est de mise. Les fossoyeurs des processus révolutionnaires, notamment la presse occidentale qui, peu de temps avant la chute des Ben Ali et autres Moubarak, chantaient les louanges des dictateurs, se sont empressés d’affirmer qu’après le « printemps arabes », c’était « l’automne » qui menaçait la région. Avec les événements de juillet et août en Egypte notamment, on serait entrés en pleine « période hivernale ». Conclusion hâtive et bâclée, au vu de la dynamique en cours, mais est-elle complètement erronée ?

A quelques mois du troisième anniversaire du début du « printemps arabe », le panorama semble s’être quelque peu assombri. Cependant, la lecture selon laquelle la réaction aurait définitivement pris le dessus est aussi fausse que ne l’était ou ne l’est encore l’illusion d’une victoire facile de soi-disant révolutions démocratiques, antidictatoriales et polyclassistes qu’une bonne partie de l’extrême gauche internationale a alimenté. La réalité est tout autre. Nous faisons face ã des processus profonds, inégaux de pays ã pays, et qui englobent un ensemble complexe de forces sociales – classes, fractions de classes, communauté religieuses, minorités ethniques ou nationales – et qui remettent en cause les intérêts géopolitiques de plusieurs Etats dans une région clef qui concentre les principales ressources en hydrocarbures au niveau mondial. Ce qui est sûr, c’est que le « printemps arabe » est appelé ã passer par différentes étapes – luttes révolutionnaires, élections, putschs contre-révolutionnaires, reculs – avant que ne finisse par se définir le rapport de forces pour toute une étape historique et que la révolution ou, à l’inverse, la contre-révolution, n’impose son verdict final. C’est en ce sens que nous définissions le « printemps arabe » comme un processus encore ouvert. Au vu cependant des tendances objectives de la situation, trois scénarios semblent se dessiner. Il s’agit, bien entendu, de trois scénarios possibles qui ne s’excluent pas les uns des autres et qui pourraient même se combiner pendant toute une période.

Une balkanisation ?

La formation de la plupart des Etats de la région est le produit du démantèlement du vieil empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale et de sa partition en différentes zones d’influence. Ce sont les puissances coloniales ou mandataires européennes qui ont établi le tracé des frontières en fonction de leurs intérêts, un tracé qui a subi quelques modifications ultérieures, notamment à la suite de la création de l’Etat d’Israël.

Avec la fin des mandats français et britanniques, les sunnites, qui constituaient le noyau central de la bureaucratie civile et militaire de l’empire ottoman, ont continué ã jouer ce rôle, y compris dans les pays ã majorité chiite. Aujourd’hui, ces structures se lézardent de toutes parts, notamment dans les pays étroitement dépendant de la rentre pétrolière. En Irak par exemple, les Etats-Unis ont tenté de tisser un équilibre de pouvoir entre les trois principales communautés, ã savoir les chiites, majoritaires, les sunnites, dominants sous Saddam Hussein et aujourd’hui déplacés des principales sphères de direction de l’Etat, et les Kurdes irakiens, alliés de Washington qui en instrumentalise les directions pour mieux défendre ses intérêts régionaux. Avec le retrait des troupes étasuniennes, la guerre civile a éclaté ã nouveau dans le pays entre sunnites et chiites, de même que les tendances au démembrement de l’Etat irakien. En Libye, on assiste ã une tendance assez similaire entre les différentes régions du pays, notamment entre Bengazi et les provinces de l’Ouest, en fonction de rivalités entre différents clans et fractions. En Syrie, enfin, cette dynamique est à l’œuvre comme on peut le voir entre les différentes factions qui participent à la guerre civile.

Un retour à l’Algérie des années 1990 ?

Le coup d’Etat égyptien et la campagne de persécution lancée contre les Frères musulmans n’est pas sans rappeler la situation qu’a connue l’Algérie à la suite de la victoire aux législatives de 1992 du Front Islamique du Salut (FIS) qui s’était imposé face à l’ancien parti unique, le Front de Libération Nationale (FLN). Face à l’éventualité probable de la constitution d’un gouvernement du FIS, les généraux algériens avec l’appui de la bourgeoisie libérale et des puissances impérialistes ont pris le chemin du coup d’Etat préventif pour éviter ce scénario. La répression sanglante qui a été menée contre le FIS a conduit ã une radicalisation d’un secteur de l’islamisme qui a opté pour la lutte armée. La guerre civile qui s’en est suivie a duré prés d’une décennie et s’est conclue par un renforcement de la dictature algérienne et de l’Etat.

Quoiqu’on ne puisse exclure ce scénario, cela ne semble pas être l’option la plus probable. A la différence de l’Algérie du début des années 1990, l’Egypte actuelle connaît un processus révolutionnaire qui a mis en branle non seulement une jeunesse qui a manifesté violemment son rejet du despotisme mais également la classe ouvrière du pays. S’ils entendent défendre leurs intérêts, les travailleurs auront tôt ou tard ã affronter le nouveau gouvernement civico-militaire qui a vu le jour à la suite de la destitution de Mohamed Morsi et qui cherche ã rétablir la stabilité qui prévalait avant la chute d’Hosni Moubarak.

Et la révolution, la vraie ?

Voilà qui nous mène au troisième scénario possible. Bien que dans certains pays arabo-musulmans ce soient les tendances les plus réactionnaires de la société qui avancent, le processus révolutionnaire égyptien continue ã être le processus le pus profond qui continue ã animer « le printemps arabe » et il est peu probable que la répression lancée contre les Frères musulmans ne soit suffisante ã elle seule pour le faire plier. Depuis plus de deux ans, la classe ouvrière et la jeunesse sont en train de faire leur expérience vis-à-vis des différentes « déviations » du processus révolutionnaire en cours. C’est dans leur énorme potentiel d’organisation et de lutte, qui ne s’est pas encore pleinement déployé, que réside la possibilité que se rouvre la perspective de la révolution sociale. C’est là le pari que doivent faire les marxistes révolutionnaires internationalistes.

Démocratique…. ou permanente ?

Dans les colonnes du Monde, le politologue spécialiste du Proche et Moyen-Orient Gilles Kepel soulignait le 4 juillet dernier, à la suite du renversement de Morsi, qu’il « n’est pas dû au hasard que, plus les pays concernés sont les otages d’enjeux régionaux et internationaux qui les dépassent – et s’articulent autour du contrôle du pétrole et du gaz ou du conflit israélo-palestinien –, plus l’Etat des choses est catastrophique pour l’aspiration démocratique ». Le cours même des événements est en train de montrer que le « printemps arabe » ne se laisse pas aussi aisément cloisonner dans des formules aussi simplistes que « révolutions antidictatoriales », des analyses qui ignorent superbement les structures de classe, les conditions historiques de constitution de la plupart des Etats de la région ou encore l’importance stratégique de la région pour la domination impérialiste actuelle.

L’Egypte, la Libye, la Syrie et le processus arabe dans son ensemble rappellent une fois de plus la vieille leçon que les marxistes révolutionnaires, et Trotsky en particulier, ont tiré au début du siècle dernier : il ne peut exister « d’étapes » dans la révolution ni de « révolution par étapes » et la résolution effective des revendications démocratiques structurelles est indissolublement liée à la lutte pour le pouvoir ouvrier et populaire, contre la bourgeoisie, y compris contre la bourgeoisie soi-disant libérale et progressiste, et contre l’impérialisme, et ce dans une dynamique de révolution permanente.

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